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Des soldats du Millavois à la veille de la Première Guerre Mondiale (1er partie)
Communication de Jean-Yves Bou, donnée lors du 1er Salon Généalogique de l’Aveyron, le 12 avril 2014.
Article mis en ligne le 22 avril 2014
dernière modification le 3 novembre 2015

par Jean Yves BOU

Des soldats du Millavois à la veille de la Première Guerre Mondiale

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Ordre de mobilisation générale

Le 2 août 1914, le gouvernement français fit afficher un ordre de mobilisation générale, alors que la guerre était sur le point d’éclater. La plupart des jeunes des classes 1911 à 1913 étaient en cours de service militaire et les classes 1896 à 1910 furent appelées à rejoindre la caserne de leur régiment d’affectation. Les conscrits de la classe 1914, qui étaient passés devant le conseil de révision en mars et avaient été classés bons pour le service armé, ne devaient rejoindre leurs casernes qu’en novembre ..

122ème régiment d’infanterie de Rodez

On peut aujourd’hui consulter aux Archives départementales les fiches de matricule de ces Français recensés par l’armée. Ces fiches permettaient à l’administration militaire de les suivre de leur vingtième anniversaire jusqu’à leur libération complète des obligations militaires. Les fiches établissaient leur état civil et leur signalement, suivaient le déroulement de leur service militaire et de leurs obligations de réservistes et précisaient leur parcours dans un conflit tel que la Première Guerre mondiale. Bien qu’elles puissent parfois être incomplètes, elles permettent de connaître assez précisément le destin de la "génération du feu".

Les prénoms utilisés dans l’article sont ceux qui apparaissent en premier sur la fiche de matricule. Ils étaient souvent différents du prénom d’usage.

La classe 1904 des cantons de Millau, Peyreleau, Saint-Beauzély et Vezins

La classe 1904, celle des hommes nés en 1884, comptait 304 recensés pour les cantons de Millau (170), Peyreleau (34), Saint-Beauzély (44) et Vezins (56). La plupart étaient nés dans leur canton d’inscription (259 ou 85%), et pour les autres, l’inscription était généralement liée au domicile de leurs parents en 1904. Ainsi Octave Bonnet-Large, originaire de Corrèze, étudiant en droit mais engagé volontaire en 1904, était inscrit à Millau où résidaient alors ses parents, rue Alsace-Lorraine. Malgré leur jeune âge, quelques-uns (11) avaient déjà migré vers des grandes villes ou d’autres campagnes : Bordeaux et autour, Levallois-Peret (Jean Alibert, de Vezins, garçon charbonnier), Lyon, Marseille, Orléans et divers lieux dans l’Hérault. Signalons deux cas remarquables, Auguste Curvelier, de Peyreleau, étudiant en théologie à Montréal et Henri Bernad, de Ségur, professeur des Écoles chrétiennes au Caire. Ce dernier fut dispensé du service militaire

La répartition socio-professionnelle des jeunes de 20 ans était alors bien différente de celle d’aujourd’hui. Sur 304 fiches, dix ne mentionnent pas de profession. Sur les 294 autres, deux jeunes étaient qualifiés de propriétaires et quinze étaient étudiants, dont six séminaristes et un étudiant en médecine, Guillaume Pierre Calmels, de Millau. À l’âge de 20 ans, les 277 autres avaient un métier. 138 exerçaient une profession liée à l’agriculture. Les autres métiers et emplois étaient très variés, mais on note 37 jeunes dans les cuirs et peaux et 14 menuisiers. En pleine révolution industrielle, on trouve aussi bien un cocher qu’un mécanicien-ajusteur. À cet échantillon appartiennent Ulysse Causse, futur maire de Montjaux, alors professeur à Cauderan près de Bordeaux et Aimé Henri Richard, maréchal-ferrant, futur maire de Vezins.

Lors du conseil de révision, qui eut lieu en 1905, seize ne se présentèrent pas. Ils furent systématiquement classés "bons" pour le service armé. Mais trois d’entre eux n’ayant donné aucune nouvelle furent considérés comme insoumis. Plusieurs années après, l’administration militaire fut informée que l’un d’entre eux était mort en bas-âge, en 1886. C’était peut-être aussi le cas des deux autres. Les 301 restants furent répartis en fonction de leur état sanitaire et physique, soit classés "bons" pour le service armé, soit versés dans le service auxiliaire, soit exemptés s’ils avaient un problème de santé jugé définitivement rédhibitoire, ou encore ajournés si le médecin-major jugeait qu’ils pourraient servir plus tard. Les ajournés passèrent devant le conseil de révision de 1906, où certains furent ré ajournés, et en 1907 une décision finale fut prise à leur égard : service armé, service auxiliaire ou réforme.

Avant le conseil de révision de 1905, dix-neuf s’étaient déjà engagés volontairement dans l’armée. Plusieurs étaient partis dans l’aventure coloniale comme Clément Galière, de Saint-Léons, qui, devenu sous-officier, passa quatre ans en Chine et quinze mois à Madagascar entre 1908 et 1914. De son côté, Alexis Grezes, également de Saint-Léons, s’engagea après le conseil de révision, en octobre 1905, dans le cadre de l’École polytechnique. Il devint sous-lieutenant dans l’artillerie puis fut affecté dans le génie en 1910.

Au final, 31 furent exemptés ou réformés entre 1905 et 1914, plus d’un sur dix. Les raisons étaient multiples : problèmes de vue, surdité, faiblesse de constitution, fracture mal consolidée, amputation d’une jambe, problèmes cardiaques, hernie, et plusieurs cas de tuberculose ou de "bronchite spécifique". Parmi eux, sept moururent avant 1914.

Trois des 31 avaient été intégrés dans le service auxiliaire avant 1914. Il s’ajoutaient aux 28 autres également classés dans le service auxiliaire, c’est-à-dire ayant des fonctions d’aide dans les divers régiments, mais sans être combattants. La raison généralement mise en avant se limite à "faiblesse", mais il y aussi des cas de surdité, de bégaiement, de problèmes de vue, de varices (5), de déformation du thorax, d’ostéite et de bronchite. Cinq d’entre eux moururent avant 1914.

Au total 248 avaient fait tout ou partie de leur service militaire : des engagés volontaires avaient fait trois ans ou plus, les jeunes sans dispense avaient fait deux ans, les jeunes d’abord ajournés puis incorporés l’année suivante ne faisaient que 17 mois, des jeunes dispensés pour des raisons familiales (aînés de veuve ou de famille nombreuse, ou fils uniques de veuve ou de septuagénaire, jeunes ayant un frère également au service militaire) n’avaient fait qu’un an en moyenne, et d’autres avaient été réformés ou versés dans le service auxiliaire pendant leur service militaire. Trois étaient morts pendant le service, dont deux de méningite tuberculeuse et de broncho-pneumonie.

Entre 1905 et 1914, la plupart avaient gardé le même domicile et la même profession, mais d’autres avaient changé leur destin : Justin Noyrigat, charron de Saint-Laurent-du-Lévézou, était devenu miroitier à Paris (1908) ; Clément Boussaguet, menuisier de Montjaux, était parti à Lyon, Paris (1909), Alger (1912) puis Rabat, où il mourut en 1913 ; Louis Auguste Rivière, de Castelnau, travaillait dans les chantiers navals de Tunisie  ; Paul Elie Aldebert, de Millau, ingénieur conseil, était successivement passé par la Tunisie (1907), l’Italie (1909), le Doubs (1911), Saint-Petersbourg (1902), Mons-en-Bareuil (1913) et Bakou (1914).
Amans Fiches, du Viala-du-Tarn, était étudiant ecclésiastique avant de s’engager dans l’armée en novembre 1904. Son statut d’étudiant lui permettait de ne faire qu’une année, mais il se rengagea en 1905, puis de nouveau en 1909, après un an et demi de disponibilité et devint sergent en 1910. Une fois réserviste, il entra aux Chemins de fer du Midi à Sète.

Ulysse Causse, dispensé d’un an de service militaire comme étudiant candidat à la licence, devint caporal au 61e régiment d’infanterie. Puis il abandonna son métier de professeur pour entrer aux Chemins de fer du Midi où il devint cadre.

Un jeune de l’échantillon avait été condamné en 1911 à six ans de prison pour coups et blessures ayant occasionné une infirmité permanente. En 1914, il purgeait sa peine.

Au cours de la même période, 23 étaient morts, dont plusieurs de la tuberculose.

Ainsi en 1914, les 278 survivants (91%) avaient 30 ans. Un était en prison, 36 (13% des 278) avaient été exemptés ou réformés et 26 (9%) avaient été classés dans le service auxiliaire. Deux des réformés s’engagèrent volontairement dès le début du conflit, les autres, réformés, exemptés et auxiliaires, attendirent d’être convoqués devant une commission de réforme, ce qui n’advint qu’en décembre 1914. 215 (77%) étaient a priori bons pour être incorporés immédiatement dans l’armée. 213 rejoignirent leur caserne, mais deux ne se présentèrent pas ...

La classe 1914 des cantons de Millau, Peyreleau, Saint-Beauzély et Vezins

La classe 1914, les jeunes nés en 1894, comptait 296 inscrits pour les cantons de Millau (182), Peyreleau (39), Saint-Beauzély (40) et Vezins (35). 260 (87,8%) étaient nés dans leur canton d’inscription. Ce n’était pas le cas de Marcel Réfrégier, né à Saint-Petersbourg où ses parents étaient alors gantiers. Ils étaient rentrés à Millau, mais lui était resté en Russie. La mobilité des jeunes de la classe 1914 fut supérieure à celle de la classe 1904 : 32 % avaient changé de canton avant leur 20e anniversaire, contre 23 % pour leurs aînés. 49 se trouvaient ailleurs en France que dans l’Aveyron (contre onze en 1905) dont un peu plus de la moitié à Paris et sa banlieue et onze dans l’Hérault. Les autres étaient à Bordeaux, Chartres, Châteauneuf-de-Charente, Cluny, Douai, Grenoble, Laon, Limoges, Marseille et Niort. Outre Marcel Réfrégier, deux autres vivaient à l’étranger : Alexandre Juéry, de Montjaux, instituteur libre en Belgique et Étienne Durand, de Millau, mécanicien habitant à Londres.

Convocation au conseil de révision

Les professions sont mentionnées sur 285 fiches : 16 étaient étudiants, 124 avaient des professions liées à l’agriculture, 26 travaillaient dans les cuirs et peaux et il y avait aussi 14 menuisiers. On trouve 17 employés dans l’hôtellerie-restauration, contre huit en 1904 : garçons d’hôtel, garçons de café et garçons limonadiers, dont onze à Paris et en banlieue. Également en augmentation, le nombre de comptables et d’employés des postes et des contributions indirectes : moins de métiers dans les secteurs primaire et secondaire au profit du secteur tertiaire.

Le conseil de révision se déroula en mars 1914, le 9 à Peyreleau, le 11 à Vezins, le 13 à Saint-Beauzély et le 14 à Millau, en présence du préfet, du conseiller de préfecture, d’un général, d’un intendant militaire, d’un médecin-major, d’un conseiller d’arrondissement et d’un conseiller général. Certaines décisions furent renvoyées au 16 juin, pour les jeunes habitant loin et examinés ailleurs ou pour les dossiers incomplets. Plusieurs lois avaient modifiées les conditions du service militaire depuis 1904 : suppression des dispenses en 1905, remplacées par des sursis d’incorporation, et en 1913, allongement du service à trois ans. Le conseil de révision décida que 203 jeunes étaient bons pour le service armé (68,5%), 12 pour le service auxiliaire (4%), 13 furent exemptés (4,5%), 40 ajournés (13,5%), 9 obtinrent un sursis, alors que 16 étaient déjà engagés (5,5%) et que 3 étaient inscrits ailleurs. Initialement, le service militaire aurait dû commencé en novembre 1914 mais la classe 1914 fut finalement appelée fin août - début septembre, un mois après la déclaration de guerre, alors que les Allemands étaient à 30 kilomètres de Paris, après les sanglantes batailles de Belgique.

Quels destins connurent ces hommes au cours de la guerre ? ...

Cela sera évoqué dans la deuxième partie de cette communication.