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Cercle Genealogique de l’Aveyron
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Procès pour gravidation au XVIIIe siècle
Article mis en ligne le 3 mars 2020
dernière modification le 4 juillet 2022

par ROUBY Gilles

Gravidation : terme ancien pour grossesse.

Qui n’a pas été confronté, dans son histoire familiale, à un cas d’enfant illégitime ?

Au départ, une énigme dans ma généalogie : à son mariage en 1760 [1] à Saint-Germain-du-Teil (Lozère), mon ancêtre Joseph ROUBIN est dit fils d’autre Joseph, journalier et de Marguerite BOUSQUET, mariés de la Rouvayre, paroisse de Saint-Amans d’Escoudournac. Or, je n’ai jamais pu trouver son baptème, pas plus que le mariage de ses parents, bien que les registres paroissiaux du secteur de Sévérac-le-Château aient été dépouillés en son temps par le CGSA.

Deux documents vont faire la lumière sur cette énigme :

 Une transaction entre les parents de 1745 [2] , qui révèle que Joseph est un enfant illégitime et que sa mère a poursuivi le père en justice. Cet acte fait suite à deux procès, le premier auprès de la justice du marquisat de Sévérac, le second en appel au parlement de Toulouse. Mais cet acte notarié est peu disert et ne fournit pas d’éléments, notamment filiatifs, sur les parents
 Le jugement en appel de 1735 au parlement de Toulouse [3]. Il a fallu une part de chance pour le trouver, car sur les quelque 100 000 sacs à procès conservés aux archives de la Haute-Garonne, seulement 10 000 ont été répertoriés à ce jour (voir le formulaire de recherche sur leur site). Le dossier du procès, qui comprend une trentaine de pièces, dont la plupart sont des copies du procès en première instance, se révèle être une mine de renseignements sur les protagonistes et leurs familles.

Sac à procès (AD31)

Les protagonistes de l’affaire :

Les familles de Joseph ROUBY ou ROUBIN et de Marguerite BOUSQUET habitent le même hameau de la Rouvayre et semblent bénéficier d’une certaine aisance financière :
 Jean ROUBIN, le père de Joseph et époux de Louise VESINHET, est un laboureur qui emploie une domestique
 Jacques Antoine BOUSQUET, le père de Marguerite, est marchand, son épouse Jeanne CASSAN est qualifiée de demoiselle.

Les faits :

Joseph ROUBIN est accusé d’avoir « cajolé » Marguerite BOUSQUET et de l’avoir « séduite de condescendre à ses plaisirs, toutefois sous la promesse souvent réitérée de la prendre en mariage et connue charnellement plusieurs fois ».
Quoi qu’il en soit, Marguerite BOUSQUET accouche d’un garçon le jeudi 08/04/1734. Huit jours après l’accouchement, Joseph ROUBIN part dans le Languedoc, pour n’en revenir que le 30/08 et se livrer à la justice de Sévérac, qui l’emprisonne.

Le procès en première instance :

Une première sentence est prononcée le 13/09/1734, qui décrète :
 L’élargissement de Joseph ROUBIN de sa prison
 Le versement par lui d’une provision de 150 livres pour l’alimentation et l’entretien de l’enfant
 L’obligation pour Joseph de tenir sa promesse d’épouser Marguerite ou de lui payer 3 000 livres de dommages et intérêts
 La production par Marguerite, sous 15 jours, de témoignages prouvant sa familiarité avec Joseph et leur fréquentation.

Marguerite produit donc, entre le 24/09 et le 20/11/1734, divers témoignages recueillis par le juge Guillaume DURAND, à savoir ceux de :
 Paul LACOMBE et sa femme Jeanne CANILLAC, des Molières
 Marie CHAUTAT
 Jean et Antoine BERNARD
 Jean BOUSQUET
 Pierre et Guillaume VERNHET, tous de la Rouvayre
 Pierre HUGUIES, du mas de la Fon
 et Izabeaux VAISSIER, femme d’Antoine DELMAS, du Fau.

La sentence définitive tombe le 07/12/1734 : 1 000 livres de dommages et intérêts et la « rayure et biffure des termes injurieux et déshonorants » insérés dans une requête dudit ROUBIN. Cependant, sans attendre la sentence définitive, Joseph ROUBIN a fait appel de la sentence auprès du parlement de Toulouse.

Le procès en appel :

Une nouvelle procédure est donc engagée, à l’issue de laquelle la cour de Toulouse casse, par arrêt du 07/06/1735, le jugement initial pour vice de procédure (Joseph ROUBIN n’aurait pas eu connaissance d’une requête présentée en son nom) et renvoie les parties devant la justice de Sévérac.

La transaction chez notaire :

Autant les procédures judiciaires ont été rapides (un an), autant le délai entre celles-ci et la transaction chez le notaire a été longue (dix ans). Les parties transigent sur une indemnité de 150 livres pour Marguerite et 50 livres pour son fils Joseph.

Epilogue :

Après cette transaction, Joseph-fils quitte la Rouvayre pour s’établir à Saint-Germain-du-Teil, où sa mère Marguerite l’accompagne ou le rejoint. A son testament en 1774 [4], celle-ci désigne sa bru comme héritière. Les liens avec ceux de la Rouvayre sont semble-t-il rompus. Joseph ROUBIN-père ne se marie pas ; dans son testament en 1773 v , il désigne des neveux comme héritiers. Joseph-fils sera quant à lui à l’origine de toutes les familles ROUBY de Saint-Germain.

D’autres actes, tels que les déclarations de grossesse, peuvent garder trace des naissances hors mariage : pour lutter contre les infanticides, les femmes célibataires ou veuves étaient en effet tenues, par un édit du 11/02/1556, de déclarer leur grossesse, sous peine de pendaison en cas de décès de l’enfant ; cette obligation était rappelée tous les trois mois lors des messes dominicales. Les déclarations sont à rechercher en série B des AD , dans le fonds des sénéchaussées ou présidiaux. Malheureusement, cette série ne commence dans mon cas qu’en 1735, alors que Joseph était né en 1734. Par ailleurs, il n’est pas certain que Marguerite ait satisfait à cette obligation, car elle a déclaré avoir caché sa grossesse à la demande du père de l’enfant et il n’en est pas fait mention dans les pièces du procès.

Gilles ROUBY – 27/02/2020