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CHRISTOL
L’étude des prénoms au secours du généalogiste ?
L’exemple des CHRISTOL de Cornus
Article mis en ligne le 14 mai 2006
dernière modification le 28 septembre 2012

L’étude des prénoms au secours du généalogiste ?

Les travaux récents sur les modes de transmission des prénoms au Moyen-Âge [1]
ouvrent des perspectives intéressantes de reconstitution hypothétique des premières générations d’un patronyme.

Dans l’étude de ma ligne agnatique, j’ai comme tout un chacun été arrêté par l’absence de documents filiatifs antérieurs au XVI°siècle.

Cependant, après avoir identifié le lieu d’origine du patronyme et reconstitué le plus exhaustivement possible les différentes branches existantes aux périodes les plus anciennes documentées, on a à partir de cette image des familles d’un nom donné en un lieu précis l’opportunité de pousser plus loin.

En partant de l’échantillon statistique que représentent toutes les personnes connues regroupées par branche, il est assez aisé d’identifier le ou les prénoms caractéristiques d’une lignée masculine. Les filles sont ici en grande partie laissées de côté, non par sexisme mal venu, mais parce que les règles patrilinéaires sont naturellement plus simples à exploiter pour suivre un patronyme.

Une fois l’opération effectuée, une séparation probable des branches peut s’en déduire, en regardant quels prénoms dominants se retrouvent dans quelles branches en tant que prénoms secondaires. On obtient alors un arbre virtuel des premières générations.

L’ analyse qui va suivre se base sur les règles suivantes :
 la famille médiévale utilise un « stock » familial de prénoms, transmis à chaque génération à partir des parents, oncles et cousins
 le père transmet le plus souvent son prénom à l’aîné des fils ; parfois, la transmission de ce prénom « lignager » se fait sur deux générations le grand-père transmet son prénom à son petit-fils
 les autres enfants reçoivent un prénom tiré de la branche paternelle, ou plus rarement de la branche maternelle ; souvent aussi celui du parrain ou de la marraine mais il en va comme de la poule et de l’œuf : ce dernier peut être choisi en partie parce qu’il porte le prénom qu’on souhaite donner à l’enfant

Au final, les fratries se retrouvent avec des prénoms qui ont « un air de famille ». Une étude statistique est alors possible avec précaution, sachant que les prénoms ainsi trouvés se distingueront obligatoirement d’une répartition au hasard.

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L’exemple des CHRISTOL de Cornus

Le lieu d’origine de ce patronyme, assez peu commun à l’échelle nationale avec ses variantes Christofol, Cristofari, Christophle... est identifié avec une bonne dose de confiance [2] :
 l’étude des naissances depuis un siècle fichier INSEE
 l’annuaire téléphonique
 l’identification locale du nom par les habitants
 enfin, la présence de plusieurs branches recensées par des généalogistes contemporains vont tous dans le sens d’une origine dans ce village, aussi chef-lieu de canton.
On peut donc envisager que la population portant ce nom dans ce lieu aux époques les plus lointaines documentées, ait une origine commune, mais cela ne pourra probablement pas être prouvé.

Les données que j’ai pu regrouper à l’issue tant de recherches personnelles que d’échanges généalogies constituées, relevés divers... font apparaître autour de 1600 plusieurs branches réparties sur des hameaux proches :
 le Figayrol
 Prévenquières
 Les Ayres
 Cabanes
 Canals
 Le mas Raynal

Mes informations étant malheureusement très limitées pour ces trois derniers hameaux, très proches et que je regroupe pour l’étude qui suit Canals est à l’époque une paroisse distincte.

Pour chacun de ces lieux, les individus mâles identifiés se répartissent de la façon suivante entre 1492 premier registre notarial conservé sur Cornus et 1750 individus ayant vécu / s’étant mariés entre ces deux dates, en général nés <1725 [3] :

 le Figayrol : 39 dont 19 correspondant à une généalogie continue
 Prévenquières : 39 dont 37 correspondant à deux généalogies continues
 Les Ayres : 40 dont 27 correspondant à une généalogie continue
 Cabanes : 19 dont 7 correspondant à deux généalogies continues
 Canals : 9
 Le mas Raynal : 18 dont 8 correspondant à deux généalogies continues

Soit, ensemble, un total de 162 individus.

Plusieurs prénoms se détachent, par branche, comme étant caractéristiques :
 le Figayrol : Guillaume 7 individus=18% de la branche et Antoine 9=23%
 Prévenquières : Pierre 9=23% en deux lignées continues
Une branche s’en détache vers le Liquet, autre hameau, caractérisée par Jacques 7=24% de cette sous-branche « Liquet ».
 Les Ayres : Jean 8=21% , mais des doublons -individus comptés deux fois - restent possibles Guillaume 5=13% et Antoine 4=10% sont les plus présents, mais on remarque Dominique (2=5%) et Louis 4=10%
 Cabanes : Jean 9=47% - on remarque Mathieu 2=11%
 Canals : Etienne 3=33% et Jean 2=22% - on remarque Noël (1
 Le mas Raynal : Jean 6=35% - on remarque Fulcrand 3=17% et Mathieu 1

En ajoutant Michel, présent plus faiblement dans les branches du Figayrol et de Prévenquières, on obtient une liste de onze prénoms principaux Guillaume, Anthoine, Pierre, Jacques, Michel, Dominique, Louis, Je(h)an, Fulcrand, Mathieu, Etienne, qui correspondent pour l’ensemble de cette population à 128 individus, soit 79% du total.

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Validation des hypothèses

Avant d’aller plus loin, il est possible de vérifier si ces constatations correspondent effectivement à des caractéristiques familiales : est-ce que la répartition des prénoms semble distinguer ces lignées d’une population prise au hasard ?

A l’appui des hypothèses de départ, trois constatations :

 la comparaison avec les statistiques « normalement attendues » [4]
pour les prénoms fréquents dans une population prise au hasard, montre que :
 Jean et Pierre, prénoms les plus répandus à l’époque, arrivent effectivement en tête Jean, 36 individus soit 22% du total pour 18-29% attendus ; Pierre, 23 individus soit 14% pour 7 à 15% attendus.
Leur répartition à l’intérieur des sous-groupes appelle cependant des observations : Jean est très majoritaire sur Cabanes, Canals et le mas Raynal 38% des individus de ces
trois hameaux
 ; mes données y sont trop éparses pour que je puisse en tirer la conclusion qu’il caractérise une lignée bien définie. Il est plus épars dans les lignées mieux documentées et en particulier s’y retrouve peu de façon continue en suivant les générations.
Par contre, Pierre se retrouve dans ces branches continues dans des proportions 10 à 23% supérieures à la moyenne générale, même au Figairol et aux Ayres qu’il ne caractérise pourtant pas. Nous tirerons plus loin des conclusions complémentaires de ce dernier point
 d’autres prénoms répandus pour lesquels on connaît des statistiques générales, les respectent dans l’ensemble : Guillaume, 8% du total pour 7 à 12% attendus ; Antoine,
9% pour 11% attendus ; Etienne : 7% pour 6 à 9% attendus. En y regardant de plus près,on constate là aussi que cela n’est dû qu’à leur position dominante dans une ou deux
lignées bien précises : ils seraient plus faiblement représentés que la « normale » si on ne prenait en compte que les autres branches.

 on retrouve certains prénoms exclusivement ou presque dans une lignée, en dehors de laquelle ils sont soit absents soit moins fréquents que dans la population générale : Jacques, relativement courant, n’est pourtant présent que 2 fois hors la lignée du Liquet qu’il caractérise ; Dominique, Louis, Fulcrand, Mathieu, Noël, plus rares, ne figurent que dans des branches bien déterminées.

 avec 79% du total, l’ensemble de ces onze prénoms semble représentatif du stock familial : il en faut d’habitude entre quinze et vingt cinq pour arriver à une proportion de 80% d’une population

Les hypothèses de départ semblent donc valides ; tout en étant globalement cohérente avec la popularité générale des prénoms telle qu’elle est estimée pour l’époque (ce qui montre aussi que l’échantillon statistique est suffisant), cette répartition montre à la fois :
 que la prédominance de ces onze prénoms n’est pas due au hasard
 que leurs importances relatives, en analysant par sous-groupes, s’écartent d’une répartition statistique telle qu’on la retrouve dans la population générale.

Il y a bien là des éléments caractéristiques du groupe et des sous-groupes étudiés.

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Répartition d’ensemble

Reprenons maintenant la répartition de chacun de ces prénoms, dont il est désormais établi qu’ils correspondent bien à un stock familial, respectivement dans chacune des lignées décrites. On obtient le tableau général suivant

 les pourcentages pour chaque nom, correspondant à leur répartition par hameau, se lisent horizontalement, le total de chaque ligne faisant 100% aux arrondis près

 les chiffres en italiques dans les lignes du haut et du bas représentent le total de chaque hameau et la proportion qu’en constituent ces onze prénoms :

Répartition par Hameau pour chaque prénom

. . Figairol Prévenquières/Liquet Ayres Cabanes/Canals/Mas Raynal
Total 162 39 39 39 45
Prénoms
Guillaume 13 7(54%) 1(6%) 5(38%)
Anthoine 15 9(60%) 1(7%) 4(27%) 1(7%)
Pierre 23 4(17%) 9(39%) 6(26%) 4(17%)
Jacques 9 7(78%) 1(11%) 1(11%)
Michel 8 3(38%) 5(62%)
Dominique 2 2(100%)
Louis 5 1(20%) 4(80%)
Je(h)an 36 ? 8(22%) 3(8%) 8 ? (22%) 17 ? (47%)
Mathieu 3 3(100%)
Fulcrand 3 3(100%)
Etienne 11 3(27%) 1(9%) 3(27%) 4(36%)
Total 128 34 29 28 33
% par hameau 87% 74% 72% 73%

D’où on peut tirer les premières conclusions que voici :

 certains prénoms caractérisent quasi-exclusivement une lignée, tant du point de vue statistique qu’en regardant la façon dont le prénom se retrouve à chaque génération Jacques : le Liquet ; Dominique & Louis : les Ayres ; Mathieu/Fulcrand : Cabanes & mas Raynal ; Etienne : Canals et ne se retrouvent pas ou très peu dans les autres branches. Ceci s’interprète simplement comme le prénom d’un cadet, hérité éventuellement d’un personnage extérieur à la population étudiée branche maternelle, voire parrain, qui crée à son tour sa propre lignée que ce prénom caractérise désormais.

 Guillaume et Antoine caractérisent presque à égalité la lignée du Figairol resp.7 et 8 occurrences, mais sont aussi très présents dans la lignée des Ayres resp.5 et 4 où cependant, Dominique et Louis sont attestés de façon plus régulière 3 générations de Louis se succèdent.

 Seuls deux prénoms, Pierre et Jean, sont présents dans toutes les branches. Ces sont les prénoms les plus répandus dans la population générale ; cependant, Pierre caractérise de façon prouvée des lignées de Prévenquières deux fois sur deux générations, tandis que Jean n’est présent que de façon beaucoup plus dispersée et pour une bonne part dans la zone Cabanes/Canals/mas Raynal, la plus mal étudiée, et dans des occurrences de personnes isolées doublons possibles. Sur les secteurs mieux connus, Pierre 20 occurrences dépasse de peu Jean 19 occurrences à l’inverse de ce qu’on constate dans une population générale.

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Remarques complémentaires

La transmission du prénom par le père comme caractéristique de sa lignée est attestée de façon suivie dans cet ensemble familial, comme l’illustre l’extrait suivant :

 PRÉVENQUIÈRES
 1. Pierre CHRISTOL fils de Guinot, °1544-†ca1601
 1.1 Pierre CHRISTOL °>1560-†>1634
 1.2 Jacques CHRISTOL °>1561-†1636, lequel crée alors sa propre lignée :

 LE LIQUET
 1.2.1 Jacques CHRISTOL °<1610-†ca1675
 1.2.1.1 Jacques CHRISTOL °ca1643-†1723 lequel continue une lignée de Jacques sur au moins deux générations
 1.2.1.2 Jean CHRISTOL °ca1653-†1717 cadet

Le souvenir du prénom de l’aîné perdure cependant longtemps dans les branches cadettes, puisqu’on a alors en repartant de Jean :
 1.2.1.2.1 Jacques CHRISTOL °>1692-†<1759... lequel va donner naissance à une lignée de Jean Jacques puis Jean Jacques François suivis sur 3 générations
 1.2.1.2.2 Jean Pierre CHRISTOL °>1693-†>1772
 1.2.1.2.2.1 Jean Jacques CHRISTOL °1736-†1806

On a donc ici deux cadets successifs qui ont donné à leur fils aîné en ajoutant « Jean » pour le dernier le prénom de leur propre aîné, prénom dont la tradition remonte alors à plus d’un siècle dans leur ascendance.

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Hypothèse de reconstitution de l’arbre d’ascendance originel

En se basant sur de simples principes d’hérédité des prénoms découlant des règles énoncées en introduction, on peut finalement déduire des premières conclusions ci-dessus :
 puisque Guillaume et Antoine sont présents de façon marquée dans les branches du Figairol et des Ayres, mais pas dans celle de Prévenquières, on peut supposer que cette dernière branche s’est séparée des deux autres en premier : il s’agirait des prénoms de deux individus nés postérieurement à cette séparation.
 Guillaume et Antoine étant présents dans la branche des Ayres, dont les aînés s’appellent Louis ou Dominique, cette dernière branche se serait séparée ultérieurement à partir d’un Louis/Dominique né d’un Guillaume, ce dernier pouvant avoir pour frère ou père Antoine ou inversement qui en tant qu’oncle ou grand-père laisse aussi la mémoire de son prénom dans cette branche
 la séparation de la branche du Liquet, dont les aînés s’appellent Jacques sur plus d’un siècle, n’est pas du domaine de l’hypothèse puisqu’elle est documentée un Guillaume et une Guillaumette y apparaissent dans les premières générations début XVII°s, sans que je puisse rien en déduire d’autre qu’un souvenir de la parenté avec les branches précédentes
 Pierre étant le prénom des aînés de la branche de Prévenquières, elle-même séparée en premier, et se retrouvant dans l’ensemble des branches, la conclusion la plus tentante est qu’il s’agit là du prénom de l’ancêtre commun. [5]

Je n’ai pas inclus dans ces conclusions les trois hameaux de Canals, Cabanes et Mas Raynal, mes données ne me paraissant pas suffisamment suivies pour tirer des conclusions. La faible représentation de Guillaume, Antoine et Jacques les autres prénoms dominants dans ces branches, pourrait suggérer que la séparation en est assez ancienne.

On obtient donc l’arbre hypothétique suivant :

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Conclusion

Il ne faut pas attribuer à ce raisonnement une autre portée que celle d’une reconstitution hypothétique et tentative faute d’informations exactes.

Dans le cas de généalogies roturières, où sauf concours de circonstances exceptionnel les données filiatives continues s’épuisent au mieux entre 1500 et 1600, on est encore loin à cette époque de la création du patronyme : celle-ci, selon les régions, s’échelonne entre le XI° et le XV°s.
On en reste suffisamment proche cependant, pour que les traces des ancêtres ayant initié un lignage, en particulier en un lieu spécifique dont les successeurs ne bougent pas, puissent subsister dans les prénoms portés grâce à ces habitudes de transmission des prénoms internes à une lignée.

Dans des extraits de comptes fournis par Cornus à la vicomté de Creissels série C, mi-XIV°s et fin XIV°s tous les personnages cités semblent posséder un patronyme, ce qui atteste que son emploi y est bien établi dès cette date. Sauf à postuler que le prénom identifié soit postérieur à la création du lignage (ce qui reste cependant possible, si les autres branches se sont éteintes très tôt) on peut approximativement dater cet ancêtre commun de cette période.

Dans les actes du notaire Guyon GACHE 1492-1494 : plus ancien registre conservé à Cornus, malheureusement séparé du suivant par un espace de soixante ans un Antoine et un Guillaume CHRISTOL du Figairol apparaissent, ainsi qu’un Pierre, semble-t’il de Prévenquières, et un Jean de Cabanes... ce qui est cohérent avec les conclusions précédentes sans constituer une preuve en soi quelques individus seulement pouvant ressortir partiellement de la coïncidence.

Pour qu’une telle reconstitution ait un sens, il faut la conjonction de plusieurs éléments, heureusement réunis ici :
 une fréquence du patronyme suffisante pour disposer d’un échantillon assez important pour en tirer des conclusions statistiques ; pas trop grande, cependant, pour éviter des confusions a priori entre plusieurs branches majeures qui seraient alors simultanément présentes en un même lieu et plus difficilement discernables
 une origine géographique claire, permettant l’hypothèse d’une lignée d’origine identifiable, ici, Cornus et les hameaux qui l’entourent
 une documentation suffisante à une époque ancienne : grâce aux notaires de Cornus conservés de façon à peu près continue jusqu’en 1554, il est possible de retrouver suffisamment d’actes pour établir des généalogies partielles sur la majorité des branches

Dans la mesure où une remontée strictement généalogique jusqu’à l’ancêtre d’origine du patronyme celui qui a créé le nom est le plus souvent impossible, cette méthodologie propose une possibilité intéressante de reconstitution tentative.

Philippe CHRISTOL

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