Introduction :
Ma communication est issue du travail publié entre 1999 et 2004 dans le Bulletin du CGR, l’atlas des paroisses du Rouergue au 18e siècle. Une publication finale, incorporant l’ensemble des cartes corrigées et des notices par paroisse est en cours de préparation.
Mon propos va porter sur les paroisses de la région de Rivière-sur-Tarn, qui sont particulièrement intéressantes à plusieurs titres. La connaissance de l’histoire des paroisses est un élément qui intéresse les généalogistes dans la mesure où les registres paroissiaux sont une des principales sources pour la généalogie. Elle permet aussi d’imaginer certains aspects de la vie quotidienne de nos ancêtres.
Pour cette région, complément d’information dans le livre de Marcel Portalier.
Mon exposé se décompose en trois parties : une région frontière, territoires paroissiaux et autres territoires, les églises.
1 - une région frontière
la région de Rivière-sur-Tarn, canton de Peyreleau, est une zone frontalière à double titre.
– A - D’abord, on y trouve une des frontières les plus anciennes, les plus complètes, les plus stables de l’histoire de France. Elle sépare aujourd’hui les départements de l’Aveyron et de la Lozère, passant sur le Causse Noir, descendant une partie de la Jonte jusqu’au confluent avec le Tarn, remontant le Tarn sur cinq kilomètres, puis passant sur le Causse de Sauveterre.
C’est aujourd’hui la limite entre Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. Cette limite est très ancienne, puisqu’elle reprend, depuis la Révolution Française, la limite antérieure qui séparait non seulement le Rouergue et le Gévaudan, mais aussi les diocèses de Rodez/Vabres et de Mende, et encore le Languedoc et la Guyenne. Limite religieuse et civile, militaire, judiciaire, administrative. Contrairement à d’autres zones où aucunes de ces frontières ne correspond, ici elles étaient toutes superposées. Ces limites auraient été celles qui séparaient le pays des Rutènes de celui des Gabales, peuples celtes, et auraient déjà constitué des frontières administratives sous l’empire romain.
– B - ensuite, on trouve une limite plus récente et plus éphémère, celle qui a séparé l’ancien diocèse de Rodez en deux diocèses, Rodez et Vabres.
C’est en 1317 que le pape Jean XXII divise de nombreux diocèses du sud de la France, entre autres pour lutter plus efficacement contre les hérésies, mieux contrôler l’orthodoxie des populations, suite au catharisme.
Pour le diocèse de Rodez, le démembrement a pour limite, une frontière naturelle, le Tarn : les paroisses au nord, rive droite, restent dans le diocèse de Rodez, celles de la rive gauche appartiennent au nouveau diocèse de Vabres. Vabres est choisi comme siège du diocèse, car c’est un grand centre religieux, lié à la présence d’un monastère important, qui a échoué à devenir l’égal de Conques, mais qui conserve une influence locale. L’abbé devient évêque.
Le problème, c’est que plusieurs paroisses avaient leur territoire à cheval sur la rivière : Lincou, Broquiès, Millau (ND de l’Espinasse), Compeyre (ND de Lumenson), Boyne (Saint-Second). Un conflit oppose rapidement les deux évêques sur ces cas et le pape tranche dès 1318 : les paroisses garderont leurs anciennes limites et dépendront de l’évêché où se trouve leur église, c’est-à-dire Rodez pour les quatre premières et Vabres pour la dernière.
De ce fait, le village de Paulhe, chef-lieu paroissial du diocèse de Vabres, se trouvait enclavé dans la paroisse de ND de Lumenson (Compeyre), diocèse de Rodez, qui englobait l’annexe de Carbassas , les hameaux de l’Alauset et de Betpaumes.
Quant à Boyne, seule l’église se trouvait sur la rive gauche, le village et les hameaux sur la rive droite, mais dans le diocèse de Vabres.
Le diocèse de Vabres disparaît définitivement au moment de la Révolution. Celui de Rodez est absorbé par Cahors pendant une vingtaine d’années (1802-22).
2 - Les territoires des paroisses, des communautés et des seigneuries
Contrairement à certaines régions françaises où les communes actuelles correspondent aux anciennes paroisses, qui elles-mêmes s’identifiaient aux communautés d’habitants, il n’y a pas de correspondance équivalente en Rouergue.
La commune de Rivière-sur-Tarn est exemplaire : avant la Révolution Française on y trouvait 6 ou 7 paroisses ou parties de paroisses. La paroisse Saint-Hilarin-de- Peyrelade s’étendait sur le vallon qui se trouve autour de nous, entre les Puechs de Luzergue, de Suège et de Fontaneilles, elle débordait légèrement sur la commune actuelle de Compeyre, incluant la maison d’un domaine appelé Le Pigeonnier.
La paroisse Saint-Second-de-Boyne occupait un petit territoire de part et d’autre du Tarn, autour du village de Boyne.
La paroisse de Truel était une autre curiosité, unique en Rouergue, une paroisse sans paroissien, avec une église au milieu des vignes, entre Boyne et Le Bourg (recours pour les habitants de Boyne quand le Tarn était en crue).
La paroisse Saint-Jean-de-Clauselle ou du-Bourg couvrait la partie nord de la commune, autour du village du Bourg, au-delà des puechs de Fontaneilles et de Suège ; mais elle couvrait aussi la partie sud de la commune de Sévérac-le-château, qui correspondait alors à une communauté indépendante dite Le Samonta, du nom du principal hameau ; elle incluait également un hameau et trois domaines de la commune de Mostuéjouls, sur le causse de Sauveterre.
La paroisse de Trébans était une autre toute petite paroisse, dont l’église se trouvait à Trébans et dont ne dépendaient que deux hameaux, Mialet et Querbes de la commune de Sévérac.
Donc cinq églises dans une grande communauté, appelée Peyrelade, divisée en deux "membres", Rivière et Boyne.
Enfin, deux paroisses dont le chef-lieu, l’église étaient sur une autre commune, incluaient des hameaux de la commune actuelle ou passée de Rivière :
La paroisse de Novis, commune actuelle de Sévérac-le-château, mais ancienne commune de Novis, comprenait Argeliès, qui était dans la commune de Rivière jusqu’en 1963.
La paroisse de Saint-Barthélémy-de-Vézouillac, commune de Verrières, comprenait le village de Suège, commune actuelle de Rivière. Mais il faut préciser qu’avant la Révolution Suège formait une commune séparée, qui a été rattachée à Rivière pendant la période révolutionnaire. Il faut aussi préciser que la communauté change de nom et devient Rivière-et-Suège à ce moment-là.
Ainsi nous pouvons d’abord conclure que les communes se sont formées sur les anciennes communautés et NON sur les anciennes paroisses. C’est ce que démontre l’ouvrage de Marc Vaissière "de Roèrgue a Avairon".
(Ces communautés étaient les entités administratives qui servaient de base à la levée de l’impôt royale et qui étaient administrées par des consuls élus annuellement par les chefs de famille (4 consuls pour le membre de Rivière, un pour chaque village, Peyrelade, Rivière, Fontaneilles et Le Bourg ; 2 pour Boyne ; 1 consul pour la communauté de Suège). Leur territoire correspondait plus ou moins à celui des seigneuries.
Cependant la situation semble complexe pour la communauté de Peyrelade (alors que pour les communautés voisines, pas de problèmes : Mostuéjouls et Liaucous relevaient du marquis de Mostuéjouls, Le Samonta, Novis, Saint-Dalmazy, Sévérac, Verrières, relevaient du marquis de Sévérac, Saint-Léons du prieur du monastère, Saint-Beauzély et Castelnau, du marquis de Pégayrolles, Compeyre et Millau du roi, etc.) Plus complexe parce que plusieurs seigneurs "justiciers", principe de coseigneurie (en 1771, Monsieur de Vailhausi, Mr de Peyrelade, Mr de Pourquéry du Bourg))…
D’où venaient les anciennes limites paroissiales ? les centres paroissiaux ont été établis il y a très longtemps, lors de la christianisation, en lien avec l’habitat qui existait alors. Elles étaient d’abord liées aux seigneurs, de patronage laïque. Progressivement, le patronage des églises a été donné soit aux monastères (comme Cluny, mais en Rouergue, comme Conques, comme Saint-Victor-de-Marseille grand monastère bénédictin, pour notre région de Millau), soit aux évêques, soit aux chapitres de chanoines. Pour les paroisses de la commune de Rivière, l’évêque était patron ; il attribuait le prieuré, c’est-à-dire le bénéfice de la dîme à un prêtre qui pouvait être également curé, on parlait alors de prieuré-cure (Vezouillac, Trébans, Truel, Clauselles), mais souvent le curé était un autre prêtre nommé soit par l’évêque directement, soit par le prieur (on parle alors de désunion du prieuré et de la cure, le curé porte aussi le nom de vicaire perpétuel, il touche la moitié ou le quart de la dîme ou une pension fixe dite "la portion congrue"). Ainsi pour Saint-Hilarin. Pour donner des cas différents, à Verrières, c’est le chapitre de la cathédrale de Rodez qui était prieur et nommait le curé. Le prieuré de Mostuéjouls était uni au prieuré de la Canourgue, lui-même dépendant du monastère Saint-Victor-de-Marseille. Ainsi, l’abbé de Saint-Victor nommait le prieur de la Canourgue et Mostuéjouls, qui percevait la dîme et nommait le curé de Mostuéjouls.
Les territoires paroissiaux, d’abord "flous" se sont fixés lorsque l’occupation agricole du territoire est devenue complète et que les différents prieurs ont revendiqué la perception de la dîme sur les territoires. Dans certains cas, ils correspondent aux communautés, elles-mêmes issues des seigneuries, dans d’autres cas, les limites leur sont propres, et ont été disputées ou négociées entre prieurs voisins. Par exemple, Marcel Portalier signale les limites du dimaire de ND de Truels (ruisseau du Bourg, ravin du Berré, terres de Montredon et ruisseau de Pierre ; pas de source) et un acte d’arbitrage entre les prieurs de Boyne et de Truels daté du 19 mai 1288, au sujet de la perception de la dîme. Parfois les limites du dîmaire ne correspondent pas à celle de la paroisse (Molières).
Ainsi, vos ancêtres, paysans de Rivière se retrouvaient à la messe avec leurs voisins, ils avaient tous le même seigneur à qui ils payaient leurs impôts et à qui ils rendaient hommages, payaient la dîme à un prieur qui versait une pension au curé et au vicaire, et ils élisaient leurs consuls qui avaient pour tâche principale de lever l’impôt royal.
Vos ancêtre paysans du Bourg se retrouvaient à la messe avec des paysans du Samonta ou de Beth qui avaient un autre seigneur et d’autres consuls, ils payaient la dîme à leur curé, mais leurs impôts royaux aux consuls de Peyrelade qu’ils avaient élus avec les paroissiens de Rivière et de Boyne.
Le propriétaire du Py devait payer sans doute des impôts aux seigneurs et aux consuls de Peyrelade, de Rivière et de Mostuéjouls. Ceux de Suége devaient sans doute payer la dîme aux prieurs de Saint-Hilarin, de Vezouillac et de Clauselles, et des impôts aux seigneurs de Peyrelade, de Suège et de Verrières.
Cette complexité territoiriale devait alimenter les conversations sur les marchés et les foires, dans les auberges et les cabarets ; susciter des janousies, des rancoeurs, car le montant des impôts était vairiable d’un territoire à un autre.
3 - les lieux de culte
Ce point est particulièrement intéressant et intriguant pour le secteur de Rivière. Nous n’étudions que les lieux de culte principaux du 18e siècle.
En effet des lieux de culte anciens, mais disparus ou abandonnés, existaient dans la vallée et autour (Saint-Michel-de-Suège dans la falaise du Puech de Suège, Saint-Martin-du-Py dans la vallée du Tarn en aval de Peyreleau, Le Samonta, Bellevieille).
Dans cette partie de la vallée du Tarn, on trouve les deux types d’implantation d’église : église de village, église rurale ou champêtre.
– Des églises situées dans les villages principaux de leur paroisse, comme à Liaucous (très belle église romane), à Novis, à Paulhe, ou dans les annexe de Pailhas et de la Cresse. Cas minoritaires ici (à la différence d’autres régions du Rouergue).
– Dans la majorité des cas, l’église primitive, ou "matrice" était isolée, champêtre. Dans cette régions elles s’égrainaient dans les fonds de vallée, alors que les seigneuries se rattachaient à des points stratégiques en hauteur ou à mi-pente comme Peyrelade, comme Caylus en face, comme Capluc ou Peyreleau, Compeyre ou Mostuéjouls.
Ces églises primitives existent encore entières ou en ruine, ou elles ont disparues. La plupart ont été remplacées par des églises installées dans les bourgs et villages entre le 17e et le 19e siècle.
Si on longe le Tarn d’amont en aval :
Rive droite, commune de Mostuéjouls :
– paroisses de Saint-Marcellin,
– de Liaucous
– Saint-Pierre-de-Mostuéjouls. L’église est appelée aujourd’hui Sainte-Marie-des-Champs, très belle église romane. Le culte a été tranféré dans le bourg de Mostuéjouls en 1774, chapelle castrale. Nouvelle église en 1840.
-Sur la rive gauche
– l’église Saint-Sauveur-du-Rosier, centre d’un monastère fondé au 11e siècle (1075), par une donation des coseigneurs du lieu à l’abbaye d’Aniane. Le lieu portait aussi le nom signitificatif d’Antraigues. il existe encore une belle église romane. Le principal village de la paroisse était à Capluc, sous le château fort, en hauteur.
– Le cas de Peyreleau est intéressant ; avant 1630, le village dépendait de la paroisse Saint-Jean-de-Balmes, immense paroisse sur le Causse Noir (dépendante du prieuré du Rosier) ; l’assassinat du curé, dont le corps fut retrouvé au fond d’un aven, entraîna le démembrement de la paroisse. Le siège fut transféré à Veyreau (1684), mais la partie occidentale fut rattachée au Rosier. Ainsi Peyreleau en Rouergue devint dépendant du diocèse de Mende. Pourtant il existait un lieu de culte à Peyreleau, la chapelle du château (ND des Mirables). Les archives attestent aussi de l’existence d’une ancienne paroisse ou annexe Saint-Martin-du-Py en aval de Peyreleau près du Tarn (1178).
– Saint-Second-de-Boyne, dont il ne reste qu’un pan de mur du clocher ; église emportée par la crue de 1808. Mais culte avait été transféré à Boyne en 1770. En 1838, une nouvelle église est reconstruite à Boyne. Prieuré-cure de l’évêque de Vabres.
– L’église ND de Truels où se rendaient les paroissiens de Boyne et les pélerins, est abandonnée au moment de la Révolution (vendue). Monastère de religieuses en 1524 (détruit par les guerres de religion ?).
– Saint-Jean-de-Clauselles est aussi abandonnée au 18e siècle (1770). La chapelle castrale du Bourg est d’abord utilisée, une nouvelle église est construite (1815-1816) (je n’ai pas tout compris, conflit entre le curé et le seigneur, reconstruction d’un presbytère au Puech, mais église ?).
– Trébans : disparaît à la révolution.
– Saint-Hilarin-de-Peyrelade, disparue, près de Vignals. Chapelle Saint-Christophe-de-Peyrelade et Saint-Barbe-de-Rivière, statut inconnu (apparemment pas annexes). Prieuré-cure désuni en 1528, à la nomination de l’évêque. Les curés délaissent le presbytère pour habiter aux Salles, et finalement demandent le transfert à Rivière (Pierre Nouyrigat). Evêque ordonne la translation de l’église (1738) ; habitants de Peyrelade, Fontaneilles et Villeneuve entament une procédure et obtiennent de l’intendant le report et du parlement que la décision soit cassée, mais le curé continue d’administrer les sacrements à Rivière, alors que le vicaire les administre à Saint-Hilarin. Cette affaire se présente comme l’ultime étape du déclassement de Peyrelade face à Rivière. Cependant curé et habitants de Rivière insistent et aménagent la chapelle Saint-Barbe. Transfert en 1762. Saint-Hilarin progressivement abandonnée, vendue à la RF. Saint-Barbe ne convient pas (obscure et malsaine), projet de nouvelle église en 1789 … 1829-1830, église actuelle. Cependant Fontaneilles devient paroisse, église de 1838/39.
Commune de La Cresse, autrefois de Caylus. Identité des limites seigneuriales et paroissiales.
– Eglise matrice Saint-Martin-de-Pinet (prieuré dépendant du chapitre cathédral de Rodez, présentateur : chanoine théologal), sans toit, très belle église
– Saint-Baudile-de-Mulsac, annexe à la Cresse
– chapelle castrale Saint-Jacques-de-Caylus.
Marcel Portalier rapporte un conflit entre le seigneur de Caylus et les consuls de la communauté sur le droit de préséance, à l’église (rang du banc), dans les processions, à la distribution de l’hostie. Il obtient un banc devant celui des consuls ; lors des processions, les consuls seront à sa gauche et lui cèderont le pas à l’entrée et à la sortie de l’église.
Saint-Baudile devient matrice en 1801, et l’église est en partie reconstruite. 1888/1893 nouvelle église.
– Notre-Dame de Lumençon (prieuré donné à Saint-Victor-de-Marseille en 1082, sécularisé en 1313, panetiers, vicaires de la paroisse), disparue emportée (crue de 1808) ; transfert antérieur à Compeyre en 1532, église Saint-Vincent, chapelle castrale (disparue aussi). 19s église construite à Compeyre sur la chapelle des Pénitents, puis église à Aguessac.
Confort des paroissiens devient plus important que tradition religieuse seulement au 18e, signe … (comme désertification des monastères et prieurés). Vague de transferts dans les années 1770. Révolution française fige la situation. Concordat : "arrondissements des paroisses" (revenus ne sont plus liés au prélèvement de la dîme et autres impôts, du coup les enjeux territoriaux ne sont plus les mêmes. Il s’agit de dépenser le moins possible, donc de limiter le nombre de prêtres, en supprimant les petites paroisses, tout en ajustant les territoires au besoin des populations. On trouve dans ce dossier toutes les problématiques d’un service public …). Nouvelle vague de construction dans les années 1830, puis après 1871. Evolution aussi des circonscriptions paroissiales(avec plein démographique mi 19e siècle), jusqu’à la récente recomposition…