Journée du 4 août 2007, fête des trois centenaires à Sainte Eulalie.
Cent ans
1907, c’est une belle date qui prend place aujourd’hui dans le calendrier de notre histoire locale. C’est une année qui nous a donné trois centenaires et une occasion unique de fêter un événement qui sort de l’ordinaire.
Il est vrai que si nos remparts ont connu la guerre de Cent ans, de mémoire d’homme et contrairement à nos amis de Lapanouse qui dans ce domaine, ont été des précurseurs, jamais ici, on n’avait connu de centenaire !
Georges Rémi, alias Hergé, le père de Tintin, Pierre Mendès France, Maurice Couve de Murville, hommes politiques, Yves Allégret, Henri Georges Clouzot, John Wayne, Jacques Tati, Edwige Feuillère, Katharina Hepburn, artistes ou cinéastes, Jules Roy homme de lettres et Tino Rossi celui qui aura une voix d’ange et enchantera sa génération, sont nés cette année-là.
Mais depuis longtemps tout ce beau monde a tiré sa révérence et sans doute pour avoir trop bien vécu, tous ces acteurs d’une vie trépidante, sont passés à la casserole.
L’atmosphère
En 1907, c’est Armand Fallières qui est président de la République. C’est lui qui aurait dit : « La place est bonne mais il n’y a pas d’avancement. » Un jugement que ne partagent pas nos centenaires qui espèrent encore grimper plus haut dans la pyramide des âges.
Aux Etats-Unis, on constate une immigration record. La grande Bretagne refuse la construction d’un tunnel sous la Manche. Crise viticole dans le Midi éprouvé par le phylloxéra et mutinerie à Agde du XVIIe de ligne qui, composé de recrues locales, refuse de mater la révolte des vignerons.
L’aviateur Léo de Lagrange vole sur 500 m pendant 40 secondes.
On chante
Tout ça ne vaut pas l’amour, la petite tonkinoise, Les mains de femmes, Mimi peau d’chien, Bonsoir madame la lune, Ah !les petits pois, La caissière du grand café.
C’est officiel, une partie du cloître de Saint Guilhem, dont dépendait autrefois notre église, est à New York, grâce à l’argent de Rockefeller
Le champion de boules international de la Côte, Jules le Noir, est cloué sur une chaise. Perclus de rhumatismes, il ne peut faire les quatre pas réglementaires avant de tirer la boule qui se trouve réglementairement à 15 ou 20 mètres. Il regarde tristement ses collègues de La Ciotat jouer au jeu provençal. Ernest Petiot, pour le consoler, lui propose une variante. Il va l’affronter sur une distance plus courte (moins de 9 m), et jouer les pieds tanqués, c’est-à-dire posés sur le sol où un cercle sera dessiné. La scène se passe en 1907, la pétanque vient de naître. Bientôt le jeu se généralisera dans tout le Midi et on y jouera même à Sainte Eulalie.
L’environnement local a évolué à grands pas depuis une dizaine d’années : Construction de la ligne de chemin de fer Tournemire- Le Vigan, camp militaire du Larzac, usine élévatoire de l’eau du Cernon, construction de notre école, allée de platanes sur le chemin de moyenne communication N°37 vers La Cavalerie.
La population s’élève à 750 h. Le maire s’appelle Omer Mazeran, le curé Prosper Roques et l’instituteur M. Justin Solier dit le Fourset
Faits-divers
À la lecture du Messager de Millau qui vaut un sou (5c), on s’aperçoit qu’il ne se passe pas grand-chose d’extraordinaire.
– En janvier il fait très froid, on n’a jamais vu autant de glace en Lozère où Lucien Sarrouy va voir le jour le 20 janvier.
– Il est recommandé de bien faire bouillir le lait de vache. La tuberculose d’une bête malade est transmissible à l’homme.
– Mme Emma Calvet chante à Montpellier l’air de Marguerite dans la damnation de Faust.
– Deux enfants de 8 et 10 ans, en jouant avec un fusil à piston, ont blessé mortellement à Combret, une jeune fille de 15 ans. Un jeune de 24 ans s’est pendu à Saint jean de Bruel.
– Les maires de La Cresse et de Compeyre ont été suspendus par le préfet Rocault. Motif : ont refusé de notifier les arrêtés relatifs à la mise sous séquestre des biens ecclésiastiques de leur commune.
– Les plaques pour vélos, sont en vente chez Barascut à La Cavalerie et Nougaret à l’Hospitalet.
– Cinq poules ont été volées à Béches. Mais le renard n’a que deux pattes. C’est un certain Benjamin de St Affrique qui aussitôt a été écroué.
– M. Julien de la gare de L’Hospitalet est nommé à Fitou. Il reviendra pour arroser ça avec le bon vin de sa nouvelle affectation !
– Paul Laurés cordonnier à Sauclières est mort de froid en se rendant au ruisseau gelé. Le Dr Virenque n’a rien pu faire.
– En mars la neige tombe en abondance sur le plateau. Le fourrage se fait rare et cher.
– En avril le mauvais temps continue. Les Galeries parisiennes de Millau, un grand magasin ouvert en1906 et où l’on trouvait de tout est la proie des flammes.
– Une femme de ménage a été condamnée à 16 f d’amende pour le vol d’une poule. Quand on sait que la galantine de volaille vaut 5,50f le kg et le vin 20f l’hl, c’est cher payé.
– Rue du Barry, cinq ou six joyeux lurons fêtaient bruyamment la sortie de prison d’un copain. Ils se sont tous retrouvés au violon pour tapage nocturne. Pourtant dans les réclames du journal, on peut lire en gros : « Tordez le cou à l’ivrognerie grâce à la poudre Coza fabriquée à Londres, qui dégoûte les ivrognes de l’alcool. En vente à la pharmacie mutualiste. »
– En mai, les vignes ont gelé pour de bon. Charlotte Marty fait son apparition le 23 mai.
– En juin la 62e brigade d’infanterie manœuvre au camp du Larzac. Un adroit filou s’est introduit dans la cuisine d’Eulalie Monteillet limonadière au camp du Larzac et a pris 100f dans un tiroir. Malgré le renfort de l’armée, on n’a pu le rattraper !
– Dans le journal débute le premier épisode d’un roman : « Le poignard Corse »
– Les réclames vantent les mérites de la liqueur Bénédictine, de la Jouvence de l’abbé Soury, du thé mexicain qui fait maigrir, des cycles Terrot, des chaussures Gustave Chauchard, de la droguerie nouvelle Paul Deltour, de la médecine végétale qui soigne par les plantes.
Au mois d’octobre, après des pluies torrentielles, le Cernon déborde. Il faut refaire des passerelles.
– Les vendanges se font dans de mauvaises conditions. Il pleut sans arrêt. Accident de chasse à Aguessac, amputation d’une jambe. Cambriolage au Cap del Barry chez un gantier. On a volé une jumelle, une boussole, une brosse à habits, du papier à lettres et un couteau de poche !
– Le 15 novembre, le beau temps revient enfin. Le 17 novembre Elisabeth Savelli voit le jour en Corse
La vie quotidienne
La vie quotidienne passait par les chemins détrempés de novembre, la terre coupante de février, les jambes molles du printemps et les insolations de juillet. On se lavait avec un coin de serviette, le seul bain que l’on prenait dans sa vie c’était en tombant tout habillé dans le Cernon. On se douchait sous la pluie quand on était loin de tout abri ou en prenant une bonne suée en raspant dans les champs, A cette époque on mourait chez soi, quand ce n’était pas à la guerre. Le médecin venait au pas de son cheval et arrivait souvent trop tard. Le curé se déplaçait sur un vélo de femme à cause de sa soutane. À Pentecôte, on se rendait en pèlerinage à la source de Saint Etienne pour implorer la guérison des enfants handicapés.
Les rues étaient tapissées de bouses de vaches et de crottes de brebis, il y avait des tas d’ordures dans tous les recoins, on balançait par les fenêtres les trop pleins des cuvettes de jour et des vases de nuit.
. Cela faisait le bonheur des poules, des canards et des chiens qui se promenaient en liberté. Rarement celui d’un imprudent qui rasait les murs en rentrant inopinément chez lui à une heure inhabituelle. On faisait la lessive à la cendre deux fois par an. Mais l’air était sain et l’eau qui coulait de source et en abondance, était aussi pure que celle des glaciers.
Les gens vivaient sans tension et sans angoisse pour peu qu’ils aient leur pain quotidien, quelques légumes dans leur jardin, quelques poules qui donnaient des œufs et un cochon qui se mangeait tout au long de l’année. Dans les terriers, les lapins de garenne se multipliaient à souhait, rôtis à la moutarde ou bien en civet, ils pouvaient alimenter tout un régiment en campagne..
En 1907, Maria Grimal a 50 ans, sa maman aidée par une jeune fille venue de Brusque, Léonie Espinasse, tient une épicerie sur la place de l’église et une bonneterie. Ce n’est que l’année d’après que la demoiselle achètera la cave des Déroucades à la famille Mazeran et une cave à Roquefort. Les cabanières font grève « pour un peu moins d’esclavagisme ».
Pour se déplacer, on pouvait prendre son temps. Avec les bœufs et un chargement de fumier, il fallait plus d’une heure pour grimper aux Crémades. Assis, les pieds ballants sur le devant du char ou du tombereau, on pouvait réfléchir à l’emploi du temps de la journée. Pour le reste, on se déplaçait souvent à pied, ou à cheval. On prenait le train pour aller travailler à Roquefort, mais on y allait souvent à pied par le chemin des cabanières qui passait par Le Viala et Tournemire. Ceux qui pouvaient en commander un à la Manufrance, roulaient à vélo.
Le tour de France
Le premier tour de France avait eu lieu en1903, l’année où mon père est né. C’est Maurice Garin qui le gagnera. Seules ses moustaches étaient en guidon de course. Il avait un vélo sans frein, un pignon fixe qui, lorsqu’on pédalait en arrière, bloquait brutalement la roue et un guidon plat. L’étape locale Marseille Toulouse était longue de 423 kms ! Un forgeron de Grisolles y participa. Sur les photos, il ressemblait à Camille Grimal, notre maréchal à forge qui, sur une bicyclette encore plus rustique, chargé d’une lourde caisse à outils en fer, pédalait jusqu’à la ferme de La Baume pour y ferrer bœufs et chevaux.
Partis à 22h30, de la cité phocéenne, les concurrents sont arrivés à Carcassonne, le lendemain à midi ! Après une nuit blanche, et 14 heures de route, ils se sont passé une éponge sur le visage, ont avalé un bouillon dégraissé, ont emporté une bouteille de Vichy dans laquelle étaient délayés des œufs, puis sont repartis vers la ville rose. On comprend pourquoi certains coureurs s’accrochaient à des autos et empruntaient parfois le train lorsqu’ils pouvaient sauter dans un wagon !
En 1907, c’est Lucien Petit Breton qui remporte l’épreuve reine. Le second s’appelle Gustave Garrigou et on le surnomme « l’élégant ». Il est né à Rodez, mais a suivi ses parents qui sont montés à la capitale pour tenir une épicerie à Pantin. Il a été le premier coureur à gravir le Tourmalet sans poser le pied parterre. Il gagnera le tour en 1911.
On dit que pendant ce tour, trois participants ne se séparaient jamais. Les deux plus costauds attendant le plus faible qui s’appelait Pépin de Gontaud. Un noble qui s’était amouraché du Tour. Pour y participer, il avait engagé à grands frais, deux coureurs chevronnés. Aux étapes, le trio s’arrêtait dans les meilleures auberges. Quand les deux valets de roue se sentaient des fourmis dans les jambes, le sieur de Gontaud les arrêtait aussitôt : « Je vous en prie messieurs, nous avons tout notre temps ! »
On voit par là comment à l’époque, on savait s’inscrire dans la durée en donnant du temps au temps. Ce qu’on ne sait plus faire de nos jours.
Conclusion
Une vieille civilisation paysanne qui savait prendre son temps a disparu avec la fin d’un millénaire. .. Avait-elle quelque chose de plus que la nôtre ? Peut-être le sens de la solidarité, de certaines valeurs apprises à l’école et jamais oubliées. Une manière aussi de s’entraider dans un monde assez clos, qui se suffisait à lui-même et qui compensait l’absence de relations avec le monde extérieur. En somme, tout le contraire de la mondialisation et d’une consommation à outrance. En tout cas, une chose paraît certaine : nos anciens portaient leur nécessaire beaucoup plus sagement que nous notre abondance.