NOMS DE FAMILLES ET PRÉNOMS DANS LA TOPONYMIE DE L’AVEYRON
Toute étude sur les noms de lieux fait apparaître des noms de familles connus. En onomastique, on a accoutumé de les appeler du nom barbare d’anthropotoponymes. En tant que tels, j’en ai dégagé un lot représentatif de 500 dans la toponymie des communes, hameaux, fermes et lieux-dits de l’Aveyron.
Parmi ceux-ci un peu moins de la moitié relève du syntagme complément de nom (un nom + un complément de nom : Le mas (nom) – de Pichon (complément de nom).
A la suite de ce type de nom de lieu, une série de noms achève de donner son visage à un ensemble de toponymes dits syntaxiques. Ils sont apparus à l’aide de procédés tels que : nom de famille ou prénom isolé sans modification, présence d’article, pluriel, féminin.
Et je traiterai dans un second volet des toponymes représentant des dérivés de noms de familles ou prénoms : les noms de familles et prénoms modifiés par un suffixe (-esc, -enc, -és, -ia, -aria).
Mas de, Mas…
La forme la plus courante est Mas de : Mas de Miquel, Mas d’Amblard, Mas de Galtié, Mas de Galy ; avec article : Le Mas de Vidal, Le Mas de Maurel…
Une autre formule fait l’économie de la préposition : elle est de tradition plus ancienne, et relève du Moyen Age. La composition avec Mas ou Puech ne comporte pas le « de ».
A Puech d’Albert, à Flavin, répond Puech Aubert au sud-ouest de Ste-Eulalie-de-Cernon ; à Mas de Guiral, hameau de la commune de Vezins, répond Mas Guiral, hameau de la commune de Martrin. Dans le même ordre d’idée, pour reprendre Albert / Aubert cité plus haut, on peut citer Mont Aubert à Salles-la-Source, au nord-ouest du hameau d’Aubert.
Puech Aubert, Mont Aubert et Mas Guiral représentent une syntaxe médiévale où le Cheval Rolland doit être compris le Cheval de Roland, et où La Chaise-Dieu est la maison (casa > chaise) de Dieu.
La syntaxe médiévale du complément du nom est ici héritière des restes de la déclinaison latine qui n’a point besoin de préposition : casa dei « la maison de Dieu ».
Ainsi a-t-on Le Moulin Ferrand, nom de moulin de la commune de Cornus, à comprendre Moulin de Ferrand, comme le moulin de Prat Ferrand, nom de ruines à Najac, est à rattacher au nom de famille Ferrand.
Cela ne veut pas dire, loin de là, qu’il n’était pas fait usage de la préposition au Moyen Age, en ancien occitan. Bien au contraire, dans les chansons des troubadours, on trouve bien plus souvent filha d’un senhor de castel (fille d’un seigneur du château) par ex. chez Marcabru que als pels N’Anhes (aux cheveux de dame Agnès), Iseutz la domna Tristan (Iseult la dame de Tristan) chez Bertran de Born.
Les cartulaires font un usage général de la préposition de : à titre d’exemple, un acte de 1173 du cartulaire de La Selve, cite sous le nom de mas del Mainardesc, Le Magnardès actuel de la commune de Rullac-Saint-Cirq. Dans un acte de 1175, il est question du Mas de Peiralba selon la même syntaxe. Et quand il s’agit du Mas Andral (avec mécoupure Mas Cendral) et du Mas Dellom, c’est dans une acception toponymique peu différente de la nôtre. Nous en donnerons également un autre exemple avec un document, entre autres, du XIIe siècle, dans le cartulaire de Conques qui après avoir cité lo mas della Broa, lo mas del Cauze, lo mas de Creissag, note encore le capmas Rainal della Carreira, la maiso Guiral dellas Boigas, et l’apendaria Corseira après l’apendaria del Coderc, c’est d’usage toponymique qu’il s’agit.
Il faut donc penser que les formes sans préposition relèvent, pour le domaine méridional, d’un occitan plus ancien que celui des textes des X, XI, XII et XIIIe siècles qui sont notre base de données.
Statistiquement
La plus grande part est fournie par des composés avec mas et moulin auxquels s’ajoutent des monts et des puechs.
On discutera longtemps (et parmi d’autres, François de Gournay s’y est attelé dans son ouvrage Le Rouergue autour de l’an mil en abordant les capmas) sur la nature de ce mas. S’agit-il de la ferme considérée dans l’étendue du domaine ou simplement des bâtiments fermiers. Il peut aussi s’agir de hameaux avec plusieurs foyers appartenant ou non à la même famille.
Le problème se pose toujours et encore pour les puèchs ou les monts qui évoquent certes l’exploitation en versant , mais aussi l’habitat en hauteur. Nous pensons à Pech Miquel au sud-ouest de Foissac, à Puech-Lauret, hameau sur le flanc ensoleillé d’une belle colline de 80 m de haut, dans la commune de Ségur. Au chapitre des « monts », il faut citer Montgisty à Montjaux, les deux Montginou(x) (représentant le composé germanique gen-wulf dont la forme savante est Genulphe, nom du premier évêque de Cahors), hameau à Arvieu et (sans x final) ferme à Montjaux, Monastorg, hameau de Saint-Symphorien (où la perte du t final de « mont » évite au moins la mauvaise liaison que l’on a avec Montrosier souventes fois entendu Montrosier).
On peut aussi considérer l’association à « mont » du nom d’homme Bazenc (du germanique Badingus) avec Montbazens et Tedicus à Montézic, où l’ancienneté du toponyme fait que le nom de famille qu’il représente n’est parfois plus connu de nos jours, tout au moins dans la morphologie présentée.
Des noms à particules
Avec le nom de famille ou prénom seuls sans déterminant (sans mention de camp, potz, puèch ou mas), nous abordons la seconde moitié en importance des noms de familles devenus noms de terre.
Certains sont encore précédés de la mention honorifique médiévale où Embernat, écart de Lacroix-Barrez (à comprendre en plus nom de famille ou prénom Bernat = Bernard) pourrait être compris « monsieur Bernat, sieur Bernat » de nos jours. En est une abréviation de senher / senh = seigneur, sire. De la même manière on doit comprendre Emperpigne, nom de ferme à Entraygues-sur-Truyère, en tant que composé de en et du sobriquet Perpinha « tracassier, querelleur » pour désigner par En Perpinha un mauvais voisin, un mauvais coucheur.
Au fil des âges, le en a perdu son sens et a été compris diversement. A Enguialès, « sieur Fialaire » est graphié In Fialaire, alors qu’il est encore bien noté fialaire chez Dardé, en 1868, Enfialaire. La forme extrême de l’abrègement de en est la lettre n que l’on trouve accolé au nom de famille ou prénom avec le sens de « sieur » : ainsi Nestèbe (avec Estèbe), nom de hameau de la commune de Lassouts. Notons que les quelques éléments cités donnent la mesure de la pauvreté de notre département dans ce type de formation eu égard à la richesse des départements du Tarn, du Gers et de la Haute-Garonne.
A Mur-de-Barrez, Mestre Blaise, est le nom d’un hameau entre le château de Venzac à l’est et celui de Courbelimagne à l’ouest. Il s’agit encore là d’un appellatif honorifique que nous avons à l’unité dans notre département, alors qu’il est bien plus répandu dans le Tarn, la Haute-Garonne, le Lot-et-Garonne et le Gers.
Au sujet des matronymes, on rencontre dòna (madame, dame) avec Donacoste (Dame Coste) nom de hameau de la commune de Saint-Izaire.
Sur la carte aveyronnaise des fermes, hameaux, lieux-dits et communes, il ne reste plus rien du te la formation « préposition A suivie d’un nom de famille ». Ce type de nom de lieu encore connu dans le Gard, le Tarn et l’Aude, renvoie à un lieu en tenant compte de ses habitants. Sur la carte de Cassini, Amercier que l’on peut situer aux confins des communes de Ste-Croix et de Martiel, près du hameau de Ginoulhac, signifie « chez les Mercier » « où se trouve le mas des Mercier ». La même remarque est bonne pour Apachin à localiser dans la commune de Ste-Croix, au nord du hameau de Marin : ici il s’agit de nom de famille Pachin (avec foyer de fréquence à La Bastide-l’Evêque).
Des noms de familles sans modification
Dans nos cartulaires, les témoignages du nom de lieu constitué du nom de l’individu sans aucune modification, sont discrets. Dans le cartulaire de Conques, on peut citer le mas Johanne della Vernia (le mas Jean de la Vergne) de la région de Barriac sur un document du XIe siècle. Un autre document, portant sur les années 1065-1087, cite la villa Deusdet (disons le domaine Déodat ou Dieudonné) dans la contrée de Valuéjols, dans le Cantal. Et le plus anciennement connu d’entre eux est le nom de personne Bégon, nom de hameau connu également avec le nom de la Baraque de B., la Bruyère de B. les noms de fermes Bégon Basse, Bégon Haute, dont le cartulaire de la Selve donne (dans sa mention le plus ancienne) la gleisa da Begoin ella vila [var. : glieia de Begonh e la vila], en 1148, à comprendre « l’église de Bégon et le domaine ».
Par contre, on a de nombreux exemples (soit 4,4 % de l’ensemble des toponymes envisagés) de ce mode de désignation du domaine dans notre toponymie départementale.
Il faut citer Brouzes, sur le Larzac (dans la commune de Saint-Georges-de-Luzenson), représentant le nom des de Bourzès, famille millavoise connue pour avoir possédé le lieu de 1470 à 1700.
Il faut encore penser à Galy, nom de hameau de la commune de Najac ; ou bien encore Gally (avec 2 l) de la commune de St-Hippolyte faisant face, de part et d’autre du ruisseau d’Alcuéjoul, à Durand de la commune de Lacroix-Barrez. Pensons aussi à Durand Haut et Durand Bas, nom de deux fermes de la commune d’Aubin.
Calvin, hameau de la commune de Crespin, et Cauvin, Caubi dans les communes d’Estaing et de Rodelle, sans oublier Calvy, quartier de La Fouillade. On peut toujours dire que l’un d’entre eux représente le nom d’homme latin Calvinus mais sur les 4, et bien d’autres représentés, sous le nom de Mas Calvi (à Fondamente) et Les Calvinies, il s’agit du nom de famille Calvin / Calvy.
Il faudra envisager sous le même aspect Marin nom de hameau de la commune de Ste-Croix.
Pensons à Cabirol (dans la commune de Najac) s’élevant au-dessus de fortes pentes boisées. Notons aussi le nom de famille connu Beders (plus connu sous la forme Bédès) de la commune de Campuac, transportant ici la forme ancienne du nom de Béziers.
On apprend sans étonnement que les communes de Sébrazac, Bertholène, Gabriac, Espalion et Villeneuve-d’Aveyron ont chacune un hameau ou une ferme du nom de Marty.
Chronologie
A la lumière des études faites sur ce type de nom de lieu, il s’agit là de la couche la plus ancienne. En fait, comme d’habitude, en onomastique, où les contours sont toujours flous et s’ils ne le sont pas, c’est inquiétant car ils devraient l’être, cela n’est pas toujours le cas. Le nom isolé n’est parfois tel que parce qu’il a perdu la mention initiale « Mas de », « Mas » ou « Puech ».
C’est le cas, par exemple, pour 3 des 4 exemplaires de Jamme (avec ou sans s final) : Jamme, hameau de la commune d’Ayssènes, était porté le Jammé (lo Jamme) sur la carte de Cassini (de 1770-1775), forme sur laquelle nous exprimer dans un instant ; Jammes, aujourd’hui site deruines dans la commune de Malleville et Jammes de la commune de Martiel, tous deux portés Mas de Jammes sur la carte de Cassini.
Et encore n’est-il pas dit que cette expression toponymique d’un nom de famille considérée comme la plus ancienne ne représente pas en fait la dégradation d’un premier état où viala, viala de, mas, mas de, ou bien l’article défini que nous allons envisager à l’instant, ont généralement disparu.
Le nom de famille précédé de l’article singulier
Nous avancerons un peu plus dans notre étude avec les noms de familles ou prénoms précédés de l’article défini au singulier. Le corpus en est grosso modo de la même importance que celui de la catégorie précédente, celle des noms de familles ou prénoms non modifiés.
Nous en voulons pour mémoire, Lanibal nom de quartier de St-Jean-de-Bruel, à droite du chemin d’Algues, en sortant de la Ville. Nous l’avons étudié dans le Journal de Millau du 9 novembre 2006. Nous en trouvons mention dans le plan de St-Jean de Breuil de 1650 où se trouve le carré matérialisant un édifice sur la zone en question est légendé : La maison d’Annibal Vidal (ou Vidalet). Ainsi, par une ellipse ou l’on distingue mal les variations entre l’évocation du propriétaire et celle de la propriété, on est passé de « la maison d’Anibal » à « l’Annibal ». Selon toute apparence l’article y a conserve sa valeur démonstrative étymologique : « ce qui est à Anibal, ce d’Anibal ».
Dans le même article, nous avons également parlé du lieu-dit Lalric, sur les versants au nord-ouest de Saint-Beaulize, évoque Alric (encore que Landric de la carte de Cassini, hésite entre Androieu et Alric).
Pensons aussi à Le Reynald, dans le commune de Colombiès et Le Peyre, près de Brandonnet.
A Decazeville, on a Le Baldy, à 1 kilomètre à l’est de La Baldinie, ferme assurément satellite de la première. A Laguiole, on a, en rase campagne, le lieu-dit Le Vidal, comme on a Le Clapier et La Cazelle. Dans les communes de Florentin-la-Capelle et Montpeyroux, trois fermes voisines portent le nom de Le Thomas, Le Phalip (à comprendre Le Philippe) et Le Brunet (les deux premières dans la commune de Florentin-la-Capelle, la dernière à Montpeyroux).
A Broquiès, c’est encore Le Clavel, la propriété de Clavel, courageusement défendue contre l’invasion des bois.
A Curan, La Teissère succède à Lou Teyssere de la carte de Cassini et Le Teysseyre de Dardé. Il n’est plus question ici d’ambiguîté entre le nom de l’individu et sa propriété. Il s’agit ici de la boòria del Teissèire.
Enfin faudrait-il distinguer, dans les noms de profession, s’il s’agissait du surnom de profession (lo fabre) ou du nom même de la personne (Le Fabre), ou bien même si le nom faisait office des deux en même temps. C’est particulièrement le cas pour Le Teinturié, dans la commune de Sainte-Croix et le ruisseau del Teisseire dans la commune de Vezins-de-Lévézou.
Noms de familles au pluriel avec article défini
Avec les noms de familles au pluriel précédés de leur article, nous atteignons une plus grande densité de noms.
Le pluriel désigne ici la communauté humaine. Sur le rebord nord-ouest du Larzac, le toponyme Les Coulons, nom de ferme abandonnée, désigne la famille des Coulons, mais attention, comme nous le verrons tout à l’heure, la désignation des terres et des dépendances n’est jamais très loin.
Nous en voulons pour preuve avec le pluriel Les Franquaises, 2,5 km à l’est du lieu-dit La Franquaise, qui ne sont pas des noms de familles, mais désignent sous le nom de « les Françaises » des terres relevant du roi de France ou bien appartenant d’une manière ou d’une autre à un originaire non seulement du nord de la Loire mais surtout de l’Ile de France. L’Aveyron comporte en tout 11 noms de fermes ou lieux-dits La Franquèze / La Franquaise qui ne doivent rien à des Franc occasionnels.
Ce doute entre la représentation de « la famille de » et les « terres de » va concerner l’ensemble du corpus. Par exemple Les Azemars, ferme de la commune de Ste-Eulalie-d’Olt, voisine de la ferme Les Amillaux (patronyme Amillau représentant la forme ancienne du nom de notre bonne ville de Millau).
Citons encore : Les Cadilhacs, nom de ferme de la commune de Rieupeyroux ; Les Carbonnels, sur le causse Noir, dans la commune de Veyreau, aujourd’hui simple lieu-dit à l’ouest de l’auberge de Cadenas.
On s’attendra à trouver plusieurs Les Fabres (ou en trouve trois, dans les communes de Druelles, Savignac et Vezins-de-Lévézou, où sur 1 km s’étagent le hameau des Fabres, le moulin des Fabres et ka ferme des Fabres Bas. C’est encore Les Alaris, hameau à Roussennac, Les Aubignacs, aujourd’hui simple lieu-dit, en souvenir d’une ferme qui a prospéré jadis dans un méandre du Tarn près de Comprégnac. Ce sont enfin, dans la commune de Camarès, les Philippes voisinant avec Les Ramondens (où le nom de famille Ramondenc = Toulousain) perd son c final au bénéfice du s quand il est pluriel.
Formes sans article
Souvent l’article a disparu, laissant isolé le nom de famille avec un s final. C’est le cas pour Artières de la commune d’Aguessac, à environ 3 km au sud-ouest de Les Artières. Il faut envisager sous le même aspect Cousiniès, hameau du causse Rouge, dans la commune de Verrières, Astres, hameau de la commune de St-Léons (au nord de la com.), Miquels nom de hameau des communes de Rieupeyroux et de Maleville ; et, dans cette dernière com., au sud-est l’expansion des Gély avec le hameau de Gélis, la ferme de Gélis Bas et le moulin de Gélis, selon un schéma en tout point parallèle à celui des Fabres à Vezins dont je viens de parler.
Nom au féminin avec article
C’est ici le lieu d’aborder la catégorie des noms de familles féminisés. Elle est importante en nombre. Il ne faut pas douter du sens locatif de ce féminin. Dans la commune d’Asprières, La Vidale et La Canague ne sont plus les femmes de Vidal ou de Cannac, mais leur ferme, leur bòria.
C’est La Guine (la bòria de Guin) à Rieupeyroux ; c’est La Brune (la ferme de Bru) à Canet-de-Salars ; La Marsale, ferme de Marsal, où il ne demeure que ruines, à Peyrusse-le-Roc ; c’est La Martine qui atteste d’un Marty à Brasc. J’écourte ici une liste en fait assez longue. En fait avec 8 % de l’ensemble, ces noms de lieux anthroponymifères féminins est plus importante encore que celle des noms de familles au pluriel avec ou sans article envisagée précédemment.
Comme pour leurs homologues masculins, ces noms de lieux ont leur pluriel et posent dans les mêmes termes le sens probable de « terres et dépendances ».
Terres et dépendances d’Andrieu, dans la vallée de la Sorgue, pour Les Andrives, ferme de la commune de Marnhagues-et-Latour. A Bozouls, 2 km au sud-ouest, c’est le hameau des Brunes (terres de Bru). A Lapanouse-de-Sévérac, le lieu-dit Les Caumelles étend les terres de Caumel entre Tantayrou et Cornuéjouls. A Curan, 3 km au sud, s’étendent les terres de Catala : les Catalanes. A Biounac, au sud-ouest ce sont les Martines, les terres de Marty.
Et encore une fois, comme pour leurs homologues masculins, nous assistons à l’érosion de l’article qui laisse un nom de famille ou un prénom au pluriel. C’est Sabatières (avec s du pluriel) dans la commune de Veyreau, près de Luc ; c’est Toulzane-s, hameau de la com de La Fouillade (sur Toulza = Toulousain) ; c’est Cabassudes (terres de Cabassut), dans le camp militaire du Larzac, à 2 km de La Balquière. Ce sont enfin les terres de Marty, Martines dans la commune de Brommat.
Nous terminons avec ces derniers l’examen des noms syntaxiquement (grammaticalement) modifiés ; c’est-à-dire par des appellatifs qu’ils complètent (le mas de Vidal), par la présence d’un article (Le Vidal), par le genre (la Vidale) ou par le nombre (les Vidales).
Cette catégorie constitue 71 % de l’ensemble du corpus étudié. Elle a été d’une importante créativité depuis le haut Moyen Age (le VIIIe siècle) jusqu’à époque moderne où l’on assiste, pour un même nom de lieu, au cours des temps, à un va-et-vient entre diverses formules.
Les anthroponymes suffixés
Les 32,6 % restants sont constitués par des noms de familles et prénoms devenus noms de fermes et de hameaux en supportant un suffixe. Le Jouanenc, hameau de la commune de Causse-et-Diège et Le Janenq à Réquista, sont des dérivés dits locatifs et situent le lieu où se trouve Jean et par ellipse où se trouve sa propriété.
Ce procédé d’adaptation toponymique fut de plus courte vie. Né plus tard (vers le XIe siècle), il vécut au plein Moyen Age mais, hormis des effets de mode qui ont pu avoir cours à toutes époques, il se révèla de peu de créativité par la suite.
Suffixes -enc et -esc
Ici les suffixes -enc et -esc donnent au nom une valeur adjectivale. A Palmas, Combe Laurenque est la Combe de Laur (monsieur Laur). Un acte du cartulaire de Conques du XIIe siècle, cite el mas Albejesenc, près de Rodez, désignant le mas d’Albigès. C’est illo clauso Autbertesco (le clos d’Aubert) aux Xe-XIe siècles. C’est illo manso Radulfesco de Castaniario (le mas de Raoul du Castanier) au XIe siècle.
C’est A Millau, La Graufesenque fut peut-être la plana ou la viala Gaufresenca. Un acte du cartulaire de Conques, cite au XIIe siècle, près de Et encore ne faut-il pas trop chercher sur cette pente car l’ellipse (mas, molin, puèch d’un côté, viala, bòria, apendaria, comba, còsta, vinha de l’autre) a dû jouer très tôt dans l’esprit des locuteurs qui répartissaient leurs dérivés en masculin ou féminin sans s’attarder sur la nature d’un appellatif déterminé. A Comps-la-Granville, la ferme de Burgayrenq est portée dell Berengairenc en 1178, dans les Plus anciennes chartes en langue provençale de Clovis Brunel. Ici l’ellipse a joué son rôle, le Berengairenc est le bien de Berenguier. Notez au passage comment l’altération morphophonétique a fait passer le domaine des mains de Berenguier à celles de Burguière.
Le suffixe -esc fut également d’un grand usage. Sur Marty / Martin on a le masculin Le Martinesq à Meljac, le féminin La Martinesque à St-Amans-des-Cots, deux Martinesque ayant perdu l’article à 4 km l’un de l’autre dans la commune de Montpeyroux, et un pluriel Martinesques à La Loubière. Nous retrouvons ici comme précédemment le schéma : article au masculin singulier puis au pluriel et disparition de l’article d’une part, et d’autre part le même processus au féminin.
Le masculin avec Le Mauresq sur Maur, ferme de Bozouls, Le Faraldesq sur Farald, hameau de Meljac. Le féminin La Guillomesque à St-Jean-Delnous et pluriel Les Mondesques à Ste-Geneviève-sur-Argence. Avec perte de l’article, on peut mentionner : Arnaldesq, sur Arnal hameau de Vimenet ; Brunesq sur Bru, lieu-dit de Rivière-sur-Tarn et Gouzounesq, sur Gouzon, hameau de Vezins.
Suffixe -és
Notre département accorde, dans cet usage, beaucoup d’importance au suffixe - és . C’est Ferrandés, ferme à l’est d’Espalion (sur Ferrand). C’est Le Martinez, hameau dominant le cours du Lot dans la commune de Pomayrols. Un dérivé de Martin, avec z au lieu de s, ce qui lui donne un petit air espagnol. Le même phénomène d’attraction par le nom hispanique a lieu pour Martinez (sans article) au nord d’Espeyrac. Bégon est représenté par Le Bégounès au nord-ouest de Palmas.
Mais les produits de -iscu et de -ensem se confondent allègrement dans le produits -és/-ès.
On observe avec clarté cette confusion dans les formes anciennes de Sylvanès, sur l’appellatif sèlva / sauva « bois » ou pourquoi pas, après tout à la suite d’André Soutou, sur le nom de personne Salvanh (les résultats sont les mêmes). Il s’agit bien évidemment d’un dérivé en -esc : les formes anciennes (Silvanesco, 1133, Salvanesc, 1140, Silvanesc, de la même année) et le dérivé Salvaniensis monasterii (1138) n’y a qu’une valeur anecdotique. La même remarque peut être faite au sujet de Le Roualdesq, ferme au bord du Viaur, dans la commune de Flavin, dérivé de Roual / Rouaud (sur des racines germaniques) et que l’on retrouve sous la forme Roualdès, près de Nauviale et dans le nom de famille dont le foyer d’expansion est à 6 km de là, à Noalhac.
Autre problème : la possibilité de ne pas toujours représenter un nom de famille ou un prénom. Le Béraldès, nom de ferme au sud-ouest de Saint-Chély-d’Aubrac ne nous paraît pas représenter Bérald, mais tout simplement le nom de la Boralde de Saint-Chély-d’Aubrac qui coule en ce lieu.
Suffixe -ièr / -ièra
On voit aussi à l’œuvre pour le même usage, le suffixe -ièra que l’on connaît presque intimement comme collectif (Blaquière, Boissière, Perrière, Cabrière, Jonquier, Genestier, Clapier, Peyrier, Lauzier) et qui se retrouve avec Babin pour donner Babinière au sud d’Ortholès dans la commune de la Loubière ; avec Bégon pour donner Bégonnière dans la commune de Najac ; avec enfin Brunel pour donner Bruneliers, ferme de la commune de Villecomtal.
Suffixe -iá et -ariá
Je finirai avec l’important corpus des noms de familles suffixés en -iá et -ariá qui représente 80 % des anthroponymifères à suffixe. Ces suffixes datent eux aussi du Moyen Age. Le cartulaire de Conques nous donne (sur Angelard) dellas Engelardias en 1179 ; sur Ginoux (nom de famille aujourd’hui connu dans le Gard), El capmas dellas Ginnosias (XIIe siècle) et La Gascarie (quartier de Rodez), El mas della Gascaria au XIIe siècle.
Ce sont les plus connus : tout le monde a dans l’oreille une Fabrie, une Martinie, une Vidalie, une Martinerie, une Vidalerie… Le dérivé est toujours féminin. Ce n’est plus le mas (masculin) qui nous intéresse, mais la viala (féminin) et plus tard la bòria.
Ainsi a-t-on La Fabrie à 5 exemplaires (à Ayssènes, Camboulazet, Le Nayrac, Rullac-Saint-Cirq, Saint-Just-sur-Viaur et Saint-Santin) et La Martinie à 10 exemplaires (Aubiès, Réquista, Broquiès,…). C’est La Laurentie, hameau à Grand-Vabre, La Jouanie hameau de Castelmary (sur Jouan = Jean), La Peyronie à Prades-d’Aubrac (sur Peyrou = diminutif de Peyre = Pierre). La Vidalie, ferme à Durenque (sur Vidal), et La Bringuie, hameau à St-Cristophe-Vallon.
La francisation en -ie ne fait pas de concession à la prononciation -iò, par contre la prononciation -iè est notablement prise en compte par les préposés aux écritures avec La Martinié (à La Bastide-Solages), les La Rafinié (sur Raffy) de la commune de Martrin, La Réginié (sur Régi), hameau de la commune de Martiel qui fait pendant à La Réginie de Camjac ; et enfin La Garriguié, de la Selve (au nord-est de la commune) qui est porté Garrigue sur la carte de Cassini, et Gariguie chez Dardé.
Ce suffixe ne s’interdit pas le pluriel que nous avons observé depuis le début de notre étude : ce sont Les Jouanies de la commune de St-Geniez-d’Olt (sur Joan), tout comme les Junies de Almont-les-Junies ; Les Fabries, hameau de la commune de Rignac ; Les Guillemies à Najac ; ou bien encore Les Peyronies (sur Peyrou), ferme de la commune de Naucelle.
Dans les deux cas, on note une moindre érosion de l’article qui, chez le locuteur, semble faire figure de préfixe obligé de ce type de dérivé.
On pourra reprendre le même schéma avec -ariá : sur Marty, les deux La Martinerie (l’une à Millau, l’autre à Coubisou), et La Martinarié, hameau sur un versant de la commune de Muasson ; La Vidalerie, ferme de la commune de Prades-d’Aubrac et La Videlarié à Martrin ; La Caboutarié (sur Cabot), ferme de Coupiac et La Mathiverie (sur Mathieu), ferme à Pruines. Et, pour finir, le pluriel Les Calvetteries quartier de Brandonnet, et sans article, Calvetteries, nom de hameau de la commune de Vaureilles. Ici encore peu de disparition de l’article.
Il faudra veiller à ce que le radical n’est pas systématiquement un anthroponyme. Ainsi La Prunie, à la même radical que celui de la commune de Pruines, sa voisine : prun- celui de prunus « prunier ».
A Grand-Vabres, La Randie sur la limite entre les commune de Saint-Parthem et Grand-il a Vabres, a pour radical rand- au sens presque étymologique de limite, celui qu’il a dans les Randon.
A l’ouest de l’abbaye du Sauvage le lieu-dit Les Paranies, et le Ruisseau des Parranies de la commune de Balsac, sont à mettre en relation avec Las Parras de la commune de Clairvaux-d’Aveyron.
Conclusion
Cette étude est finie (pour nous pour aujourd’hui) mais elle demande à être affinée. Nous n’avons pas eu le loisir de considérer des formes isolées qu’une étude livresque permettrait.
Notre conclusion, sera pour dire notre émotion devant toutes ces signatures sur une carte qui ne sont pas des abstractions mais représentent des vies, des destins familiaux avec leurs heurs et malheurs. Qu’on s’intéresse à eux avec l’attention qu’ils méritent, et s’élèvent alors à nos oreilles les bruits de la ferme, où au piaillement de la volaille se confondant avec les accents divers de la marmaille, on distingue les voix profondes des hommes, et celles plus haut perché des femmes. Là sont nos ancêtres…
Jacques ASTOR
(communication du 9 septembre à Laissac)