Au cours de la journée d’étude organisée par la Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron, consacrée à Louis, duc d’Arpajon, seigneur de Sévérac et grand du royaume (1590-1679), quelques personnes, parmi le public, ont évoqué, lors d’une discussion libre et ouverte, le nom de Louis de Lapersonne et vu en cet homme un possible bâtard de Louis d’Arpajon. Le prénom faisait songer à un parrainage du seigneur de Sévérac et le patronyme, si français pour nos contrées méridionales et si mystérieux, laissait entrevoir une naissance adultérine et une origine d’excellente noblesse. Ainsi, fallait-il comprendre que les contemporains de Louis de Lapersonne n’osaient, pour le désigner, prononcer le nom du père, ce grand et haut seigneur, si puissant en Rouergue et si comblé par les rois de France, qu’ils usaient de ce procédé littéraire qu’est la périphrase ou la circonlocution ; ainsi, fallait-il transcrire, en énonçant ce nom, “Louis, fils de La Personne”, c’est-à-dire de ce personnage qu’était Louis d’Arpajon. L’hypothèse est intéressante et il convient de la vérifier avant de la valider.
Quelques réflexions sur la famille de Lapersonne
Au cours de la journée d’étude organisée par la Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron, consacrée à Louis, duc d’Arpajon, seigneur de Sévérac et grand du royaume (1590-1679) [1], quelques personnes, parmi le public, ont évoqué, lors d’une discussion libre et ouverte, le nom de Louis de Lapersonne et vu en cet homme un possible bâtard de Louis d’Arpajon. Le prénom faisait songer à un parrainage du seigneur de Sévérac et le patronyme, si français pour nos contrées méridionales et si mystérieux, laissait entrevoir une naissance adultérine et une origine d’excellente noblesse. Ainsi, fallait-il comprendre que les contemporains de Louis de Lapersonne n’osaient, pour le désigner, prononcer le nom du père, ce grand et haut seigneur, si puissant en Rouergue et si comblé par les rois de France, qu’ils usaient de ce procédé littéraire qu’est la périphrase ou la circonlocution ; ainsi, fallait-il transcrire, en énonçant ce nom, “Louis, fils de La Personne”, c’est-à-dire de ce personnage qu’était Louis d’Arpajon. L’hypothèse est intéressante et il convient de la vérifier avant de la valider.
Qui était Louis de Lapersonne ?
Si nous ignorons sa date de naissance, nous savons, en revanche, qu’il s’est marié. Le contrat de mariage est passé à Saint-Saturnin-de-Lenne, le 26 juin 1645, entre noble Louis de Lapersonne, s[ieu]r d[’]Altou, habitant du lieu de Vimenet, filz legitime & naturel de feus noble Jean de Lapersonne & damoiselle Françoise de La Pierre, maries quand vivoint dud[it] Vimenet, d[’]une part, et damoiselle Agnes de Coderc, fille legitime & naturelle de s[ieu]r François Coderc, marchant, & de feue Agnes Vacquiere, maries dud[it] Sainct Saturnin [de Lenne, d’autre part] [2].
Ce que nous pouvons d’ores et déjà affirmer, à la lecture du contrat de mariage, c’est que l’époux n’a bénéficié d’aucune largesse de la part de Louis d’Arpajon. Nous pouvons conclure que le seigneur et marquis de Sévérac n’a pu être son parrain de baptême. S’il l’avait été, Louis de Lapersonne aurait reçu, à l’occasion de ses épousailles, une somme pécuniaire, comme la famille d’Arpajon en attribue régulièrement aux enfants de ses serviteurs et de ses servantes fidèles qu’elle a parrainé lorsqu’ils convolent [3]. Même si le parrain est retenu ailleurs, il envoie généralement un procureur pour le représenter et le remplacer à la cérémonie du baptême [4]. Le véritable parrain de Louis de Lapersonne paraît être Louis d’Altou, sieur de La Tour, un grand oncle maternel. En effet, dans les actes, Louis de Lapersonne est qualifié de sieur d’Altou – certains lisent maladroitement d’Altès –, comme s’il avait relevé le patronyme de celui-ci ou hérité d’une terre éponyme de son parent. Altou désigne le vill[aig]e d’Altou, parroisse de Vesins, en la juridi[cti]on [5].
Louis de Lapersonne est régulièrement qualifié dans les années qui suivent son mariage de noble Louis de Lapersonne, s[ieu]r d[’]Altou, habitant aud[it] vill[ag]e del Puech [6], situé près de Vimenet. En 1662, il est mentionné, résidant du lieu de Sainct Martin de Lenne [7]. Lors des différents actes juridiques, nous apprenons qu’il a plusieurs frères et sœurs : Pierre, Jean, Alexandre, Barthélémy et, sans doute, d’autres. Le dernier enfant susmentionné est né après le 29 juillet 1625, puisqu’il n’est pas porté, à cette date-là, dans le testament de Pierre de La Pierre, son oncle maternel [8].
Sans nous étendre sur la fratrie, nous relevons, le 26 novembre 1649, que le s[ieu]r Louis de La Personne, seigneur d’Altou, rassemble des biens en vue du titre presbytéral de son frère Jean, porté du desir d[’]estre homme d[’]Esglise, qu[’]il prethant au[x] sainctz ordres de prestrise, constitué d’une somme d’argent de 1500 livres et d’une maison à Vimenet, près de la sienne, bourg où il réside à nouveau, sans doute depuis la mort de ses parents. Lors de la rédaction de cet engagement pécuniaire, le recteur de la paroisse de Vimenet, des prêtres du bourg, des consuls du village, et plusieurs habitants, ont dict et atteste que led[it] s[ieu]r Jean de La Personne est natif dud[it] Vimenet, ysseu de parants de bonne vie, foy & religion catholique, sans aucune note d[’]infamie [9].
En tant qu’aîné et chef de famille, Louis de Lapersonne intervient au contrat de mariage de son cadet, noble Alexandre de Lapersonne, filz legittime a feus noble Jean de Lapersonne & damoyzelle Françoyse de La Pierre, du lieu de Vimenet, lui promettant la somme de 2000 livres tournois, en présence de Sévéragais, monsieur m[aît]re Jean Granier, p[re]b[t]re, recteur de Saint Privat, monsieur m[aît]re Fran[çois] de Granier, docteur en droitz, juge au marquisat de Severac, deux frères, et m[aît]re Jean Granier, bourjois de Coursac [10].
Au contrat de mariage entre Barthélémy de Lapersonne et Marie de Lévesque, passé le 17 octobre 1660, l’aîné est porté sieur Louis de Lapersonne, borgois, son f[re]re. Le jeune marié est lui-même mentionné sieur Barthelemy de Lapersonne, filz legitime & naturel du feu sieur Jean de Lapersonne, vivant borgois, et de dam[oise]lle Françoyse de La Pierre, du lieu et parroysse de Vimenet, d[’]une part, [et] Marye de Levesque, filhe legitime et naturelle dud[it] feu Anth[oine] de Levesque et de lad[ite] [Jeanne] Chayriguese, dud[it] vill[ag]e des Fons, parroysse de Saint Dalmazy, diocese de Roudes, d[’]au[tre part] [11]. A ce mariage, assistent, parmi plusieurs prêtres, l’abbé Marc-Antoine Lévesque, prêtre de Sévérac, et son frère Dominique Lévesque, receveur du duc Louis d’Arpajon, deux cousins germains de l’épousée. Plus tard, dans divers actes juridiques, le jeune marié est porté Barthelemy Lapersonne, marchant des Fons [12]. Barthélémy de Lapersonne était probablement le filleul de Barthélémy de Villaret, époux de sa tante maternelle Anne de La Pierre.
Dans son testament du 29 juillet 1625, Pierre de La Pierre, religieux, mort adolescent au couvent des franciscains de Rodez, mentionne son jeune neveu, Pierre de Lapersonne, son filheul, filz de noble Jean de Lapersonne, sieur d[’]Altou, & de damoiselle Françoize de Lapierre, maries, habitans du lieu de Vimenet [13].
Au fil du temps, la famille de Lapersonne semble perdre sa noble position sociale, malgré les importantes sommes d’argent versées par Louis à ses frères – Jean (1500 livres tournois) et Barthélémy (2000 livres tournois) – en vue de la prêtrise ou à l’occasion du mariage, pour être considérée comme bourgeoise, les cadets dérogeant peut-être par la pratique du commerce. Si nous avons démontré que Louis de Lapersonne n’était pas le fils bâtard et le filleul de Louis d’Arpajon, il convient de nous intéresser au père de celui-ci, un proche de la famille d’Arpajon.
Qui était ce Jean de Lapersonne, son père ? Le pacte de mariage du 5 janvier 1615 de Jean de Lapersonne ne nous livre aucune réponse sur son identité [14]. Le tabellion mentionne de manière sibylline et quasi quelconque le projet d’union entre m[aist]re Jean Lapersonne, du lieu de Vimenet, d’une p[ar]t, & honeste filhe Françoise de Lapierre, filhe legitime & naturel de nob[le] Pierre de Lapierre, capp[itai]ne du ch[aste]au de Severac, & de Catherine Dumas, [d’autre part].
Il relève la présence du vicomte Louis d’Arpajon, par la formule suivante, lesd[ites] parties, procedant du bon volloir de hault & puissant seigneur messire Louys d’Arpajon & de Severac, vicomte de la mayson d[’]Arpaion & d[’au]tres p[la]ces, consantement desd[its] de Lapierre & Dumas, et de nob[le] Louis d’Altou, sieur de La Tourre, honcle de lad[ite] Françoyse, future expouze (fol. 6 v°).
Il note avec précision la dot accordée par le capitaine Pierre de La Pierre à sa fille, à scavoir, est la som[m]e de mil livres t[our]n[ois], ch[asc]une valhant vingt soulz ; deux robes drap de Fran[ce], l’une rouge & l’au[tr]e noyre, faictes & garnies ; deux couvertes lict de Montpelier, l[’]une rouge & l[’]au[tr]e blanche ; quatre linseulz bons & soufizants ; payab[les] ce dessus le jo[u]r de la solenpnisa[ti]on dud[it] mariage et #. Il note également le don pécuniaire octroyé par Louis d’Altou à sa nièce, constitué en la somme de troys cens l[ivres] t[our]n[ois], payab[le] apres le decez dud[it] s[ieu]r de La Tourre en une solu[ti]on, […].
En un addendum à la fin du contrat, au dessous de l’énoncé des noms des témoins signataires de l’acte et au-dessus des émargements, le notaire a ajouté et led[it] seigneur d[’]Arpaion, en recompanse des services que led[it] Lapersonne luy a rendus, luy a donne la some de troys centz li[vres] t|our]n[ois] payab[les] ce jo[u]r d[’]hui a la volonte dud[it] seigneur Lapersonne [ ?] # (fol. 8 v°).
Le contrat de mariage est rédigé a lad[ite] ville de Severac en Rouergue & dans la ma[i]son desd[its] de La Pierre & Dumas, avant midy et les témoins signataires, en sus des patronymes cités, sont Augustin Gély, marchand, Pierre Gély, apothicaire, Jean Faige et Antoine Lamarche ou Luans, tous deux praticiens à Sévérac.
Quels renseignements nous livre ce contrat de mariage ? Le futur époux paraît être sans parents ni parenté. En effet, aucun père ou frère aîné n’intervient à l’acte ; aucun membre de sa famille n’est présent, ni n’émarge le document notarié. Est-ce un orphelin, un fils unique, un homme d’un certain âge, ou d’une condition suffisamment élevée pour être dispensé de faire mention de ses géniteurs ? Il ne semble pas avoir, non plus, de profession ni de qualité sociale. Est-il trop jeune pour en avoir une ? Est-il veuf et ayant atteint un certain âge ? L’oubli de mentions aussi fondamentales est fâcheux et l’imagination – cette “folle du logis” pour citer la formule du philosophe Nicolas Malebranche – a vite fait de créer du mystère là où il n’y en a peut-être pas. La présence de Louis d’Arpajon est justifiée ; il donne son assentiment au mariage de la fille du capitaine de son château et, semble-t-il, au marié, quelqu’un qui paraît attaché à son service, peut-être un soldat de la garnison ou un ancien page. Assurément, il serait avantageux de connaître les services mal définis qu’a rendus Lapersonne. Le noble seigneur fait peut-être preuve de générosité à l’égard de ce Lapersonne qui paraît démuni ou de condition inférieure à celle de l’épouse, comme lui et sa famille le font régulièrement, en pareil cas, à l’égard de serviteurs et de servantes qui leur sont proches [15]. Plus vraisemblablement, cette libéralité constitue la rémunération des services du nouveau marié durant plusieurs années. De facto, Lapersonne doit être classé parmi les domestiques à récompense et non parmi les domestiques à gages. Les domestiques à récompense, généralement les plus proches du maître, ne sont pas des salariés percevant des gages ; ils servent gratuitement et reçoivent à certaines périodes une somme d’argent, laissée à la discrétion de leur employeur, notamment lorsque, trop âgés, ils quittent le service du maître, lorsqu’ils se marient ou encore lorsque le maître décède. Evidemment, la somme reçue est plus élevée que le total des gages pendant une période de service correspondante [16]. Dans les dons pécuniaires que fait Louis d’Arpajon dans le contrat de mariage de ses serviteurs, il ne faut pas considérer systématiquement une libéralité de la part du maître mais envisager qu’il s’agit du versement de son traitement. Ce système de rémunération favorisait la stabilité et la fidélité d’un certain personnel, qui pouvait passer toute sa vie au service d’un seul et même maître.
Nous savons qu’après la mort de son beau-père Pierre de La Pierre, survenue autour du 5 mars 1618 [17], Lapersonne a hérité de ses fonctions militaires. Ainsi, dans un acte notarié de 1625, se trouve-t-il mentionné noble Jean de Lapersonne, sieur d[’]Althou, capp[itai]ne du chasteau de Severac en Rouergue [18]. Il demeure à Sévérac, malgré sa domiciliation à Vimenet, portée par le tabellion public. Ainsi, dans une transaction de 1626, passée au château de Sévérac entre les représentants vellaves du prieur du couvent bénédictin de Saint-Sauveur et haute et puissante dame Gloriande de Themines, femme aud[it] seig[neu]r vicompte d[’]Arpajon, marquis et baron de Severac, absant, etant [a] la Cour, faisant bon p[ou]r luy, figure-t-il parmi les juristes de la maison d’Arpajon, en presences de m[aistr]e Jean de Mazars, lieutenant principal en la judicature royalle du Pont de Camares, m[aistr]e Antoine de Barthélemy, docteur, juge de Boussagues, noble Jean de La Personne, de Vimenet, et Pierre Alayrac, practitien de Castres, soub[sign]es avec lad[ite] dame, et lesd[its] s[ieu]rs proc[ure]urs, led[it] de La Personne a dict ne scavoir [19]. Ce dernier acte nous apprend que Jean de Lapersonne est illettré [20], comme l’étaient souvent d’ailleurs les membres de la vieille noblesse. Une liève de censives, dîmes du prieuré de Saint-Sauveur de Sévérac, pour l’année 1626, nous apprend que noble Jean de Lapersonne doit s’acquitter du cens pour un molin dit de Souteyro ou Cavallié, situé sur l’Aveyron, près de Sévérac, et pour quelques pièces de terre près du Bautou [21]. En novembre 1630, il est encore présent à Sévérac, puisque le curé de paroisse relève monsieur de la Personne, de Vimenet, parrain d’un garçon, natif du Moulin de Cormane [22].
Jean de Lapersonne achève sa vie à Vimenet, bourg dans lequel Jean de Lapersonne, mary de Françoise de Lapierre, du lieu de Vimmenet, a legue vingt livres po[u]r une messe le jour de S[ain]t Jean – testament prins par Fornialis, de Gailhac –, est decede le 14 may 1637 [23].
Assurément, Jean de Lapersonne n’est pas l’enfant naturel de Louis d’Arpajon. Celui-ci est âgé seulement de vingt-cinq ans lorsque Lapersonne se marrie en 1615 ; le jeune vicomte d’Arpajon est loin d’être alors ce grand et puissant personnage du royaume de France. Certainement, Jean de Lapersonne n’est pas davantage, croyons-nous, le fils bâtard de Jean V d’Arpajon, père de Louis. Celui-là ne le mentionne pas, dans son testament du 10 mai 1634 [24], parmi ses enfants naturels ; il ne semble pas avoir, non plus, délégué son fils Louis pour le représenter.
Jean de Lapersonne n’est pas pour autant sans racines familiales, ni attaches géographiques. Il appartient, tout simplement, à cette maison de Lapersonne qui vivait ou s’était établie au XVIe siècle, pensons-nous, au bourg de Vimenet. Dans une donation enregistrée le 14 septembre 1574 devant Me Raymond Clausel, notaire de Coussergues, messire Jacques de Castelnau & de Clermont, evesque de # S[ain]t Pons de Thomieres & abayes de # S[ain]t Floret & Bon[nev]al, lequel a dict, admed que noble Pierre de Laparsonne, s[ieu]r de Perpezat, son m[aist]re d[’]hostel, est en volonte de ce marier, et c[on]ciderand les bons & agreables services q[u’]il luy a, par longues annees, ci devant faictz, & lesquel espere que luy c[on]trouvera [?] a l[’]advenir ; affin q[ue] led[it] de Lap[er]sonne puisse trouver plus grand & honorable party & mariaige, et en recompance desd[its] services & a cause d[’]iceulx, a donne & donne par donna[ti]on pure & irrevocable, dicte entre les vifz, aud[it] Lap[er]sonne, p[rese]nt, & pour luy & ses hoirs & successeurs, estippulant et aceptant, & humblement remerciant led[it] s[ieu]r, la somme de cinq cens escutz d[’]or, laquelle a p[ro]mise & p[ro]met lui payer apres la consomma[ti]on de son mariaige, […] led[it] s[ieu]r luy baille deux cens escutz, & appres cent escutz annuellement, & d[’]an en an, jusques a l[’]entier payement de lad[ite] somme de cinq cens escutz [25]. Jeune homme, ce grand seigneur avait choisi de prendre l’habit ecclésiastique, cédant son droit d’aînesse sur la maison de Castelnau de Clermont à son frère cadet Guy, le grand-père de la mère de Louis d’Arpajon, décédé peu d’années avant la naissance de ce dernier [26]. Durant ses séjours en Rouergue, ce prélat résidait à Galinières où il vivait en grand seigneur, entouré de nombreux servantes et serviteurs, d’un écuyer, Pierre de Bénavent, et d’un maître d’hôtel, Pierre de Lapersonne [27]. Les Lapersonne sont donc de facto des proches de la famille de la mère de Louis d’Arpajon.
Malgré la faiblesse de la documentation, Jean de Lapersonne, pensons-nous, est probablement le fils du maître d’hôtel de l’évêque Jacques de Castelnau de Clermont. Lorsqu’il se marrie en 1615, tout juste âgé de trente ans – la majorité matrimoniale –, son père, déjà âgé, est décédé, ainsi que sa mère. Il est normal qu’il n’y ait aucun membre de sa famille présent à ses épousailles ; il est probablement fils unique. Pierre de Lapersonne est à rattacher peut-être à cette maison de Lapersonne possessionnée dans le Lauraguais au XVIe siècle, pensons-nous, les preuves documentaires faisant défaut, les nobiliaires et armoriaux toulousains étant incomplets [28]. Un récit légendaire court sur l’origine de la naissance de ce Pierre de Lapersonne. L’abbé Bousquet rapporte une tradition orale, selon laquelle les habitants de Saint-Martin-de-Lenne appelèrent ce Pierre “Monsieur de la Personne” parce que, lorsqu’ils interrogeaient sur le nom de ses parents sa nourrice, celle-ci leur répondait qu’il était “le fils d’une personne” ; l’historien ajoute que son géniteur était le vicomte d’Arpajon et qu’il reçut de son père un fief à Saint-Martin-de-Lenne [29], probablement celui de Perpezat. Etrange et contestable tradition orale. Aucun des seigneurs de Sévérac n’a porté le titre de vicomte d’Arpajon au XVIe siècle [30] ; s’étant marié le 19 juillet 1589, à l’âge de quatorze ans [31], Jean V d’Arpajon n’a pu être, de toute évidence, le père de ce Pierre de Lapersonne qui s’est lui-même marié en 1574, n’étant plus tout jeune puisqu’alors il est mentionné avoir servi son maître l’évêque de Saint-Pons-de-Thomières de longues années. L’homme était alors, croyons-nous, quadragénaire et serait né vers 1530. Le mystère demeure entier. Sans doute, les hommes ont-ils besoin d’une explication à l’inexplicable, d’une réponse à une question ; aussi forgent-ils de toute pièce une théorie, une légende, sur des ressentiments, sur des approximations, sur une connaissance imprécise de l’histoire, loin de toute logique et de tout cartésianisme. Lorsque Coco Chanel affirme que “La légende est la consécration de la célébrité” [32], il faut la croire volontiers. Les d’Arpajon sont puissants, ils sont riches et ils mènent grand train de vie. Leur trouver quelques petits défauts ou leur attribuer quelques vilaines actions est une façon de contrebalancer dans les esprits populaires leur pouvoir, leur fortune et leur vie heureuse. Les fables ont la vie dure, elles se perpétuent au fil des générations, car “Les légendes ne sont pas faites pour être crues mais pour être racontées” [33], comme le rappelle Pierre Assouline.
Christian FUGIT