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Faux mariages à La Romiguière en l’an VII ?
L’enquête contre BONNEFOUS, GUIRALDENQ et MOULINS
Article mis en ligne le 14 mars 2017
dernière modification le 8 mars 2017

par Patrick DELEPAUT

Cercle généalogique de l’Aveyron, justice de paix, conscription, mariage, La Romigière

La justice de paix offre des pages riches pour un généalogiste, mais parfois déconcertantes. Tel est le cas d’un dossier de la justice de paix de Saint-Affrique relatif à La Romiguière, aujourd’hui commune du Truel. Ce dossier est côté 85 L 14 aux archives départementales de l’Aveyron.

Liste de mariages de La Romiguière en l’an IV

Á l’ouverture du dossier, je trouve quatre feuillets extraits du registre municipal des mariages. Ma première réaction est de décrypter ces actes pour les mettre sur le site du Cercle. Voici les données que je pense transférer au CGA :

19 pluviôse an IV (8 février 1796), mariage de Pierre-Jean DECUP, cultivateur, 40 ans, fils de Jean et feue Marianne BONNEFOUS, de Saint-Corps près de Gouzou commune de Sainte Croix, avec Marie-Anne BARTHE, 35 ans, fille de feus Antoine et Geneviève THOMAS, de La Nauq, commune de La Romiguière, canton de Broquiès. Les témoins sont Jean-Antoine BARTHE juge de paix de Saint-Affrique, Thomas et Joseph BARTHE et Victor BOSC, beau-frère de Gouzou canton de Saint-Rome de Tarn.

Photo Patrick Delepaut aux archives départementales de l’Aveyron

8 floréal an IV (27 avril 1796), mariage d’Antoine JULIEN, cultivateur, 46 ans, fils de feus Guillaume et Louise RIGAL de La Bède, canton de Viala (du Tarn) avec Françoise MALATERRE, 40 ans, fille de feus Pierre et Marie HEPLE de La Romiguière. Témoins Pierre jean MALATERRE, 50 ans, cultivateur et François LOMAC 60 ans, cultivateur, les deux de La Romiguière.

16 messidor an IV (4 juillet 1796), mariage de Jean-Joseph REYNES, 28 ans, cultivateur fils de Jean et Catherine VAISSIERE de Mergabès commune de Peyre-Brune, (aujourd’hui Salles-Curan) et Marie ANDUZE, 24 ans, fille de feus Benoît et Marie THOMAS de La Sabaterie, commune de La Romiguière. Témoins Antoine VAISSIERE, cultivateur, 34 ans, de La Fabrie, Antoine REYNES, frère, 26 ans, cultivateur de Mergabès, Jacques ALVERNHE, 52 ans, cultivateur de Vabres, oncle de la future et Benoît ANDUZE, 24 ans, cultivateur.

17 messidor an IV (5 juillet 1796), mariage de Jean PUECH, 30 ans, tisserand fils de Jean et Marguerite PRALIER de Bournac, commune de Saint-Affrique, avec Marianne CAMBEFORT, 21 ans, fille d’Etienne et de Marguerite ESTOR de La Romiguière. L’époux vit à la Romiguière. Témoins : François THOMMA, 70 ans, cultivateur, François GONDAR [1], 70 ans, cultivateur et Pierre CONQUIE, 37 ans cultivateur, les trois de La Romiguière.

4 fructidor an IV (22 août 1796), mariage de Gabriel BONNEFOUS, 18 ans, maçon, fils de feus François et Jeanne GAYRAUD de Pinsac commune de Gouzon (aujourd’hui Les Costes-Gozon), et Marianne BRENGUES, 26 ans, fille d’Antoine et de feue Marie DEJEAN de Mazels, commune de La Romiguière. L’époux y vit depuis 4 ans. L’agent municipal lit les actes de naissance et le certificat de publication de promesse de mariage faite dans la commune trois jours auparavant, sans opposition. Témoins : Pierre-Jean GAYRAUD de Brengues, oncle du futur, Pierre CALMES de La Romiguière, François BONNEFOUX frère, François BRENGUES frère de Mazels.

5 fructidor an IV (22 août 1796) mariage de Jean-François GUIRALDENQ, 18 ans, cultivateur fils de feu Jean-François et de Marie ENGALBERT du mas de Rousse, commune de Bournac (Saint-Affrique) et Catherine MALATERRE, 23 ans, fille de Pierre-Jean et Catherine SINGLA de La Romiguière. Témoins Jean MALATERRE, frère, Jean-Joseph REYNES de La Sabaterie, commune de La Romiguière, Alain GUIRALDENQ commune de Bournac, Pierre HEBLES de La Romiguière. Lecture des actes de naissance des conjoints et du certificat de promesse de mariage, sans opposition.

25 fructidor an IV (11 septembre 1796) mariage de Jacques MOULINS, 19 ans, cultivateur fils de Jacques et Anne VEYRENQUE de Melvieu commune de Saint-Victor et Rose VAYSETTE [2], 17 ans, fille d’Antoine et Rose GOUDAR de La Romiguière. Lecture des actes de naissance et de l’attestation de publication des bans par l’officier public de Melvieu. Témoins Jean et Pierre MOULINS, frères, Alexis GOUDARD, oncle, et Etienne COMBEFORT, ami.

Après avoir saisi ces données, un petit coup d’œil sur le site : malchance, elles y sont déjà, probablement extraites du registre du greffe. En réalité je découvrirai que ce dépouillement a été effectué, par Maurice† et Jeannine GRANIER, avec le registre municipal, le registre du greffe étant celui j’avais en main.

Je tourne les pages du dossier et, surprise !, j’y découvre une enquête conséquente contre BONNEFOUS, GUIRALDENQ et MOULINS pour motif de faux mariages dans le but d’échapper à la conscription. Il s’agit des trois derniers mariages du registre pour cette année.

Pour ce qui concerne la conscription, il s’agit de la conscription moderne créée par la loi du 19 fructidor an VI (5 septembre 1798), dite loi Jourdan. Cette loi pose comme principe que « tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie (article 1), en temps normal l’armée de terre se forme par enrôlement volontaire et par la voie de la conscription militaire (article 3), la conscription militaire comprend tous les Français célibataires depuis l’âge de 20 ans accomplis jusqu’à celui de 25 ans révolus (article 15). » Le service militaire a une durée de 5 ans !

Nous pouvons aisément faire le rapprochement entre ces mariages et la conscription ! La loi Jourdan est votée début septembre 1798 et les mariages mis en cause ont été inscrits comme ayant eu lieu fin août 1796. Les mariés ont eu 20 ans en 1798 pour les deux premiers et en 1797 pour MOULINS. C’est donc sur une suspicion de faux antidatés que le directeur du directoire exécutif du canton de Saint-Rome de Tarn engage, en mars 1799, l’enquête sur ces faux rédigées quelques semaines auparavant. Elle fait suite à la réunion de la commission locale de sélection des conscrits.

L’enquête et l’instruction de l’affaire se déroulent très rapidement et en trois temps :

I - La "dénonce"

L’affaire débute le 30 ventôse an VII (20 mars 1799) par une mise en cause : « Par devant nous Louis André DEJEAN juge de paix et officier de police judiciaire du canton de Saint-Rome de Tarn, s’est présenté le citoyen Jean Louis AFFRE commissaire du directoire exécutif près la direction municipale du canton, qui nous a dit qu’il avait fait arrêter le citoyen Gabriel BONNEFOUS originaire de Pinsac commune de Gozon, conscrit de la première classe pour avoir exhibé l’extrait d’un acte de mariage antidaté [3] pour se soustraire à la loi du 3 ventôse dernier qui mit en activité de service la première classe des conscrits... »

La suite de cette dénonciation indique les noms de BEC, secrétaire de la commune de La Romiguière, MAZES, agent municipal, puis ceux de la mariée, Marianne BRENGUES, et des témoins cités sur l’acte, Pierre-Jean GAYRAUD, Pierre CALMES, François BONNEFOUS et François BRENGUES.

« De tout quoy ledit citoyen AFFRE commissaire nous fait la dénonce et nous requiert de luy en concédé acte et de procéder de suite à l’interrogatoire dud BONNEFOUS pour valoir et servir de ce qu’il appartiendra ».

Á la même date et pour le même motif, le commissaire du directoire exécutif près l’administration municipale du canton de Saint-Rome de Tarn fait une autre mise en cause contre Jacques François MOULINS de Melvieu qu’il a fait arrêter. Sont cités BEC, MAZES, déjà incriminés dans le dossier BONNEFOUS, la mariée Rose VAYSSETTES, Jean et Pierre MOULINS, frères du marié, Alexis GOUDARD et Étienne CAMBEFORT, amis.

II - L’interrogatoire des mis en cause par le juge de paix, officier de police judiciaire

30 ventôse an VII. Interrogatoire de Gabriel BONNEFOUS, conscrit de la première classe.
Photo Patrick Delepaut aux archives départementales de l’Aveyron
La chemise de l’interrogatoire des témoins, contre BONNAFOUX, GUIRALDENQ et MOULINS est datée du 9 germinal an VII (29 mars 1799), mais les PV furent dressés sur plusieurs jours avant cette date. Le premier, contre G. BONNEFOUS se déroule le 30 ventôse an VII (20 mars 1799), le jour même de l’arrestation des personnes incriminées.

Au premier abord les cas semblent simples. Le dossier contient l’interrogatoire de Gabriel BONNEFOUS et de Jean-François MOULINS. Le procès-verbal d’interrogatoire de GUIRALDENQ, s’il existe, ne semble pas avoir été conservé, mais son mariage fait bien l’objet d’une enquête. Que nous apprennent ces deux interrogatoires de BONNEFOUS et MOULINS ?

Les interrogatoires de Gabriel BONNEFOUS et de Jacques François MOULINS se déroulent donc les 30 ventôse an VII (20 mars 1799) et 3 germinal an VII (23 mars 1799). Les séances sont menées par Louis André DEJEAN, juge de paix et officier de police judiciaire à Saint-Rome de Tarn.

Chacun décline son identité, à savoir :

 Gabriel BONNEFOUS, conscrit de la première classe, maçon de 21 ans, habite Pinsac, commune de Gozon [4]. Du fait de son métier de maçon, il déclare être sans domicile fixe « tantôt dans un endroit tantôt dans l’autre ».

 Jacques François MOULINS, 21 ans, fils de Jacques, tailleur d’habits demeurant à Melvieu dans la commune de Saint-Victor, conscrit de la première classe.

Le premier reconnaît s’être marié avec Marianne BRENGUES, âgée de 26 ans, fille d’Antoine BRENGUES et de feue Marie DEJEAN du village de Mazels, commune de La Romiguière. Il reconnaît également que ce mariage est faux, simulé, supposé et antidaté.

Le second, à la question « Est-il le Jacques MOULINS désigné dans l’extrait de l’acte de mariage du 25 fructidor de l’an IV, marié avec Roze VAYSSETTES, âgée de 17 ans, fille d’Antoine VAYSSETES et de Roze GOUDARD de La Romiguière ? », répond positivement et déclare que le mariage est faux et supposé.

Suivent, dans l’un et l’autre cas, des questions pour savoir comment ils ont procédé pour obtenir la rédaction de ces faux actes.

Ils expliquent que la rumeur publique à La Romiguière et aux environs donnait à penser qu’à Broquiès on pouvait obtenir la rédaction d’un mariage. MOULINS, plus précis indique que c’est un nommé GUIRALDENQ du mas du Rouve (Saint-Affrique), lui aussi conscrit de la 1ère classe, qui lui a dit « sy tu té marié et que tu te fais enregistrer au canton de Broquiès, tu seras dispensé de partir ». Á la lueur de ces informations ils s’en furent, chacun séparément bien sûr, mais accompagnés de Pierre CALMES de La Romiguière, à Broquiès. Ils y rencontrèrent le citoyen BEC, commis du secrétaire de cette municipalité. Ce dernier accepta de leur faire un acte de mariage et les invita à rencontrer le citoyen MAZES, de La Romiguière, qui était justement à Broquiès le jour où chacun d’eux y vint. MOULINS date même son déplacement à Broquiès à une vingtaine de jours avant l’interrogatoire, c’est-à-dire au début mars 1799.

Les interrogatoires donnent des informations plus spécifiques pour chacun des mariages.

D’abord pour BONNEFOUS : « Interrogé led BONNEFOUS si lors dud acte de mariage il était accompagné de Marianne BRENGUES, a répondu que non. Interrogé s’il était accompagné de Pierre-Jean GAYRAUD de Brengues, de François BONNEFOUS son frère et de François BRENGUES frère de lad Marianne BRENGUES, a répondu et dit que non, qu’il sait seulement que led GAYRAUD signa après coup ledit prétendu acte de mariage auquel il n’assista réellement que BEC, MAZES, CALMES et luy déclarant. Interrogé s’il a fait viser lui-même l’extrait (qui lui est présenté) ou si on le lui a remis visé. A répondu et dit qu’il lui fut remis visé. Dit aussi qu’il n’avait jamais comté que le présent mariage le dispensait de partir et que ces pour cela que s’est présenté lui même ». Enfin, il indique qu’il a payé, à BEC, la somme de 3 francs pour tout. Gabriel BONNEFOUS signe ce document.

Ensuite pour MOULINS : il reconnaît lui aussi que lors de la rédaction de l’acte de mariage, il n’était pas accompagné de Roze VAYSSETTES, sa supposée épouse. Il en va de même des prétendus témoins, Jean et Pierre MOULINS ses frères, Alexis GOUDARD et Étienne COMBAFORT. Il ajoute que lorsque l’acte fut fabriqué il n’y avait que MAZES, BEC et lui-même. Il précise que BEC rédigea l’acte, que MAZES le signa et qu’il croit qu’il le signa lu aussi.

« Interrogé combien est ce que luy en couta pour faire faire ce contrat de mariage ? A répondu qu’il luy en couta un franc cinquante centimes seulement pour cet acte et un franc pour l’expédition outre le papier qu’il remit aud BEC. » Il reconnaît également ne pas avoir consommé le mariage qui n’était qu’un mariage simulé.

Sur la question de qui a fait viser à la maison municipale l’extrait du contrat de mariage, il répond qu’il ne sait pas qui de MAZES ou de BEC a fait signer le président. Il ajoute qu’il fut au Truel pour le faire signer par DELMAS, ARTES et MAUREL. Il complète son témoignage en affirmant que ce fut GUIRALDENQ, cité auparavant, qui le fit signer par CAZES du Navech. Enfin il conteste qu’il n’a jamais pensé que ce prétendu mariage le dispensait de partir (sous-entendu, à la guerre) et que c’est pour cela qu’il s’est présenté à l’interrogatoire. Il signe l’acte de son interrogatoire.

Photo Patrick Delepaut aux archives départementales de l’Aveyron

Extrait de l’interrogatoire de Gabriel BONNEFOUS où il confesse avoir obtenu un faux mariage

Á l’issue de ces interrogatoires, Louis DEJEAN, juge de paix et officier de police judiciaire, rédige deux mandats d’arrêt contre MOULINS et BONNEFOUS « pour complicité de falsification d’un faux acte de mariage », afin de les conduire à la maison d’arrêt de Saint-Affrique. Les gendarmes notifient immédiatement aux deux prévenus cette arrestation.

François GUIRALDENQ apparaît dans ce dossier le 1er germinal an VII (21 mars 199) à travers un courrier du commissaire de Broquiès au commissaire de Saint-Affrique relatif à un extrait de mariage visé par plusieurs membres de l’administration de Broquiès. « Je vous préviens que vous ne devez ajouter aucune foi à cet acte qui est l’ouvrage de la surprise étant marqué au coin de la fausseté à raison de sa date et extorqué pour soustraire un lâche à la défense de la patrie ». L’attaque est forte...

Le 5 germinal le lieutenant de gendarmerie de Saint-Affrique transmet au directeur du jury de cette même ville l’acte de mariage falsifié fabriqué au canton de Broquiès « par les mêmes que les deux qui vous ont été envoyés du canton de Saint-Rome de Tarn ». Est joint à cet envoi « le verbal dressé par le jury d’examen des conscrits du canton de Saint-Affrique qui constate qu’il n’a réclamé à cette époque à raison de son mariage ». Voilà qui vient plutôt en sa faveur... Pourtant le gendarme arrête l’individu et propose de joindre ce dossier aux deux autres pour « donner à ces affaires toutes les suites nécessaires afin qu’un pareil délit ne soit pas impuni et que toute la sévérité des lois soit appliquée à ces scélérats qui ont la bassesse de fabriquer de pareils faux actes. »

L’absence de l’interrogatoire de Jean-François GUIRALDENQ dans le dossier ne permet pas de connaître, à ce niveau de la justice de paix, sa position sur la dénonciation qui est faite contre lui. Toutefois, il convient de souligner qu’il a été désigné, par Jacques MOULINS, comme celui qui donne l’information du lieu où l’on peut se ’faire’ aisément marier.

Nous pouvons retenir des lignes ci-dessus que Gabriel BONNEFOUS et Jacques MOULINS ont reconnu avoir acheté la rédaction d’un faux mariage antidaté en l’an IV, sans reconnaître que cet acte ait pu servir à éviter la conscription.

III - Le régime du mariage de l’an VII et de l’an VIII

Une partie conséquente des interrogatoires traite de la question des « extraits d’actes de mariage ». Pour bien saisir cette insistance, il faut rappeler le régime des mariages pour cette période des années VII et VIII. Si vous recherchez un mariage qui se situe dans cette période, vous ne le trouverez pas dans les registres de la commune mais dans ceux du chef-lieu de canton.

La loi du 13 fructidor an VI (30 août 1798) institue, à compter du 1er vendémiaire an VII (22 septembre 1798), premier jour de l’année républicaine, la célébration des mariages les jours de décadi « dans le local destiné à la réunion des citoyens au chef-lieu du canton ». Les premiers mariages y sont célébrés le 10 vendémiaire suivant (1er octobre 1798). Les registres des autres communes reçoivent les seules déclarations de naissances et de décès.

Dans chaque canton, les mariages peuvent être inscrits soit sur un registre unique, soit sur un registre différent pour chaque commune, en fonction du domicile des époux. En ce cas, les registres peuvent être restés groupés au chef-lieu du canton ou avoir été remis à la fin de l’année à la commune concernée.

Cette loi tendait à s’opposer à la célébration des messes hebdomadaires et à obliger la population à respecter le repos du décadi. Par ailleurs, la loi Jourdan, citée ci-dessus et concernant la conscription, incitait à des abus et fraudes en matière de mariage. Dans un premier temps les conscrits optèrent pour inscrire un mariage dans les registres précédents la loi. C’est le cas ici. Plus tard, les mariages fictifs se multiplièrent et, comme ils ne se déroulaient plus dans la commune de la mariée, il devenait plus facile, pour l’époux, d’obtenir un acte de complaisance du maire de sa propre commune. L’échec de cette expérience contraignit le Directoire à rétablir, le 7 thermidor an VIII (26 juillet 1800), la semaine de 7 jours et le mariage dans la commune de résidence d’un des époux. Un courrier du préfet de l’Ardèche, daté de cette période, éclaire sur les pratiques du peuple face à ces modifications du mode de vie [5].

’ Citoyen Ministre, Je dois appeler votre attention sur un objet qui intéresse essentiellement l’ordre public : les registres d’état-civil. Je ne sais s’ils sont partout comme dans l’Ardèche, mais il est impossible de s’en faire une idée à moins de les avoir examinés. Les omissions peuvent se réparer mais ce qui ne peut l’être, c’est cette foule immense d’actes absolument faux et pour la rédaction desquels les falsificateurs ont recours à toutes les ruses, à toutes les fraudes imaginables. Ici, ce sont des registres faux d’un bout à l’autre, pour lesquels on s’est procuré des feuilles blanches restées d’autres registres sans s’embarrasser des apostilles mises par les magistrats, ni des changements de timbre. Dans d’autres cas, on a falsifié la signature du magistrat. Ailleurs des faussaires plus adroits ont revêtu leurs actes d’une apparence de vérité, mais ici c’est un garçon qui épouse sa tante de quatre-vingt ans, ou ce sont de jeunes gens qui épousent de vieilles femmes et qui seraient leurs grands-mères, ou d’autres qui épousent des filles qui n’ont aucune connaissance du prétendu mariage, ou des femmes mortes depuis longtemps, ou même des hommes déguisés en femmes et qui se sont prêtés à la fraude. Ce sont les quelques difficultés que présente un des départements les plus ignorants de la République...’

IV – Les interrogatoires par le directeur du jury du tribunal correctionnel de Saint-Affrique

Les prévenus sont très vite transférés à Saint-Affrique pour y subir les interrogatoires du juge chargé de l’enquête. Ce juge, appelé directeur du jury d’accusation, monte les dossiers reçus du juge de paix. A l’issue de son instruction, il déclare la relaxe, renvoie l’affaire au juge de paix ou, si l’affaire est réellement grave, au tribunal criminel du département, à Rodez.

L’interrogatoire de Gabriel BONNEFOUS, mené trois jours après celui du juge de paix, compte neuf pages. Il date du 3 germinal an VII (23 mars 1799) et est dirigé par BONNES, directeur du jury.

Gabriel BONNEFOUS, sorti de la maison d’arrêt pour cette occasion, connaît le motif de son arrestation : « pour avoir exhibé au commissaire du directoire exécutif près l’administration municipale du canton de Saint-Rome l’extrait de son acte de mariage, suspecté de fausseté ». Il affirme que cet extrait lui permettait d’établir qu’il n’était pas sujet à la conscription. Le commissaire aurait dit à son frère Louis qu’il le rayerait de la liste des conscrits.

Pour éviter d’inutiles répétitions, je ne reprendrai ici que les déclarations en contradiction avec celles faites au juge de paix et celles apportant de nouvelles informations.

Il déclare que son mariage avec Marianne BRENGUES s’est réellement déroulé le 5 fructidor an IV et qu’il était bien accompagné des témoins cités sur cet acte. Il ajoute que les rédacteurs étaient MAZES avec un autre citoyen qu’il ne connait pas.

Interrogé qui et quand lui a délivré l’extrait de l’acte, il précise que ce fut quelques jours avant de le transmettre au commissaire du canton de Saint-Rome. En fait, qu’il rencontra MAZES et lui demanda à qui s’adresser. C’est ainsi qu’il sut que le registre était, au canton, à Broquiès. Il s’adressa donc à BEC, commis du commissaire de l’administration qui lui délivra l’extrait en échange de 3 francs y compris les feuilles de papier timbré fournies par BEC. En conséquence, il nie formellement la fausseté de l’acte et la démarche frauduleuse auprès de CALMES et BEC pour en obtenir délivrance. Il réaffirme s’être adressé au seul MAZES pour obtenir l’extrait.

Sur la question de la cohabitation avec sa femme, il admet n’avoir point d’habitation et que son épouse vit chez son père où il la rejoint durant les périodes de chômage qui sont rares. Les enquêteurs semblent être dubitatif devant cet état de fait qui dure depuis plus de 3 ans, s’ils se sont bien mariés en 1796.

Interrogé sur la contradiction entre sa déclaration devant le juge de paix où il reconnaît avoir fait un faux mariage, non consommé, et celle, contraire, qu’il vient d’exprimer. Il réplique qu’il a été ’ intimidé’ par le commissaire du canton de Saint-Rome et un autre commissaire qui lui firent croire que s’il n’avouait pas « il serait traduit les fers aux pieds » et que s’il avouait, il serait libre. Il réitère donc que son mariage est valide et sincère et qu’il se produisit à la date dite et que Marianne BRENGUES est son épouse, avec qui il vit.

L’interrogatoire de Jacques MOULINS se déroule le 10 germinal an VII (30 mars 1799), soit une semaine après celui du juge de paix. J. MOULINS est extrait des geôles de Saint-Affrique pour y répondre. Il décline ses nom, prénom, âge, métier, lieu d’origine et précise qu’il est sans domicile fixe du fait de son métier, puisqu’il est tailleur d’habits itinérant.

Il confirme être celui repris sur le registre des mariages et s’oppose à la supposition que Rose VAYSSETTES ait été absente à leur mariage. Il y affirme la présence des témoins, c’est-à-dire Daniel GOUDARD, Anne VAYSSETTES, Pierre CAMBEFORT et Jean et Pierre MOULINS, ses frères. Il complète son témoignage en indiquant que s’il est le seul à avoir signé l’acte, c’est qu’il était le seul à savoir écrire.

Interrogé s’il vit avec Rose VAYSSETTES, répond qu’il ne la rejoint chez son père que lorsque l’absence de travail le lui permet.

Les questions suivantes sont importantes :

  • a-t-il rencontré il y a 4 mois, aux Costes de Gozon, GUIRALDENQ du village de Brousse, commune de Saint-Affrique ;
  • celui-ci lui a -t-il dit « si tu te mariais et que tu passes faire enregistrer ton mariage au canton de Broquiès, comme je l’ai fait moi-même, tu seras dispensé de partir » ;
  • cette rencontre le détermina-t-elle à aller voir le commis du secrétaire de Broquiès pour qu’il lui passe son mariage ;
  • celui-ci acquiesça-t-il et l’enjoint-il d’aller chercher MAZES pour qu’il fasse ce qu’il souhaitait obtenir ?
    Il conteste formellement ces assertions.

Puis vient la question relative à ses aveux devant le juge de paix. Il répond, comme les autres prévenus, qu’il a été intimidé et qu’on lui a promis que s’il avouait il n’aurait rien et que sinon il serait déféré devant le tribunal correctionnel. De plus, « il rétracte formellement cette déclaration et réaffirme la réalité de son mariage le 25 fructidor, que depuis il subsiste avec sa femme chaque fois que c’est possible ».

Dans la continuation, il déclare que l’acte lui a été délivré par BEC, qu’il lui en coûta 1 franc et qu’il fournit lui-même le papier. L’extrait lui aurait été remis par BEC puis signé par MAZES, CAZES, MAUREL et d’autres.

Enfin, sur l’interrogation concernant la possibilité que ce soit GUIRALDENQ qui fit signer l’extrait de l’acte par CAZES, il nie farouchement et déclare que cette assertion a été ajoutée au procès-verbal d’interrogatoire à son insu, « si elle y est vraiment », ajoute-t-il, preuve qu’il a un doute sur la franchise du directeur du jury.

L’étape suivante va pouvoir commencer.

V - L’interrogatoire des témoins

Durant cette période d’interrogatoire des prévenus, le responsable de l’enquête, directeur du jury et officier de police judiciaire, juge utile de lancer le 6 germinal (26 mars 1799) une citation à comparaître contre Jean MALATERRE, Pierre HEBLES, Catherine MALATERRE, Rose VAYSSETTES, Alexis GOUDARD, Étienne CAMBEFORT, Pierre CALMELS, de La Romiguière, Pierre Jean GAYRAUD de Brengues, François et Marianne BRENGUES de Mazels. En même temps, il rappelle les faits et tire les conclusions suivantes pour les deux premières affaires : puisque BONNEFOUS et MOULINS ont avoué, les mariages sont faux ; il faut découvrir l’auteur de ces contrefaçons et pour ce faire disposer des registres contenant ces actes de mariage. Il ordonne donc au secrétaire de La Romiguière de les remettre sous 24 heures à son greffe. Cette ordonnance est signifiée à BEC par un huissier le 8 germinal. En fait les documents ont été, conformément aux règles, transférés à Rodez pour être déposés aux archives centrales de l’administration du département. Ils lui sont apportés le lendemain, 9 germinal.

Parallèlement, le 10 germinal, il demande au commissaire du directoire de Broquiès d’enquêter sur ces mariages et de lui donner la liste des témoins qui y sont cités. La réponse de l’édile de Broquiès est claire. Il affirme ignorer totalement ces mariages et constate que comme le mariage de GUIRALDENQ est situé entre les deux autres, il est faux. Il ajoute qu’il a recherché, sans succès, des témoins pouvant témoigner que ces mariages sont des faux.

Le même jour, il lance un mandat d’arrêt contre François MAZES, agent municipal de La Romiguière, « 34 ans, 5 pieds deux pouces, visage plein et rond, cheveux châtains », pour être entendu et inculpé. Cet acte est notifié par huissier, accepté par MAZES qui accepte de se rendre à Saint-Affrique le 18 germinal. Cet interrogatoire n’est pas dans le dossier et, pour l’instant, le sort de cet individu est inconnu.

L’interrogatoire des témoins cités ci-dessus, commence le 9 germinal an VII (29 mars 1799). J’en ferai un résumé car le dossier est épais.

Les témoins sont convoqués, au moyen d’une « cédule » délivrée par huissier, afin de « faire leurs déclarations sur les faits et circonstances qui sont à leur connaissance au sujet du délit dont sont prévenus Gabriel BONNEFOUS, maçon du village de Pinsac, commune de Gozon, Jacques François MOULINS, tailleur d’habits du village de Melvieu, commune de St Victor, et Jean François GUIRALDENQ, cultivateur demeurant au Rouve, commune de Bournac, tous trois détenus dans la maison d’arrêt de l’arrondissement de Saint-Affrique. » Les témoins font leur déclaration, chacun séparément et en présence du prévenu, conformément à l’art. 115 du code des délits et des peines [6].

Les interrogatoires se déroulent dans la salle du tribunal correctionnel de l’arrondissement de Saint-Affrique devant Pierre BONNES, directeur du jury de l’arrondissement et officier de police judiciaire. Je reprendrai les comparants en liaison avec l’affaire qui les concerne.

Les témoins de Gabriel BONNEFOUS  [7]

Les témoins convoqués par le juge sont Pierre CALMES, Pierre-Jean GAYRAUD, oncle du marié, François BRENGUES, frère de l’épouse, et marianne BRENGUES, la mariée. Ils sont tous d’accord pour dire que la signature de l’acte de mariage s’est déroulée chez le citoyen MAZES, agent municipal de la commune de la Romiguière.

Pierre CALMES cultivateur habitant La Romiguière, âgé de 32 ans. Il précise que d’autres personnes étaient là mais qu’elles ne savaient pas écrire et qu’il signa les deux registres.

Pierre Jean GAYRAUD, cultivateur habitant au village de Brengues, commune de La Romiguière, âgé de soixante ans, a été invité par son neveu. Son témoignage confirme celui de CALMES en ce que « Marianne BRENGUES est restée depuis l’époque de son mariage avec BONNEFOUS dans la maison de son père et qu’il avait entendu dire que celui-ci avait promis de nourrir et loger sa fille et son gendre jusqu’à ce qu’il aurait trouvé à faire l’acquisition d’une maison, qu’en conséquence led BONNEFOUS a resté et vécu avec sa femme dans lad maison pendant tout le temps qu’il n’a pas travaillé de son métier ailleurs... ».

François BRENGUES, cultivateur habitant au village des Mazels, commune de La Romiguière, âgé d’environ trente-quatre ans, frère de Marianne, la mariée. Spécifiquement il déclare « que son père n’assista point au mariage parce qu’il était d’un âge avancé ». Enfin il confirme que sa sœur, après son mariage, est restée dans sa maison paternelle où son mari venait la voir de temps en temps lorsqu’il n’était « pas employé à travailler de son métier de maçon ailleurs ».

Le dernier témoin appelé, Marianne BRENGUES, la mariée, fille d’Antoine, restant dans la maison de son père au village des Mazels, âgée de 28 ans.

Elle aussi confirme que depuis son mariage « elle est restée dans la maison paternelle, que lors du mariage son père promit de la nourrir auprès de luy ainsy que son gendre jusqu’à ce qu’il aurait fait l’acquisition d’une maison... »

L’affaire paraît claire. Aveu d’un faux mariage, déclarations des témoins sujettes à caution : le marié n’a pas su mener à bien son coup monté puisqu’il a craqué lors de l’interrogatoire. Pourtant un fait pose question. Pourquoi choisir une fille d’un village proche du sien pour faire un faux mariage ? L’enquête oblige l’ensemble des personnes citées, y compris les parents de la fille ainsi impliquée dans ce mensonge. On aurait pu imaginer que les conscrits, par simplicité, fassent inscrire des faux mariages avec des filles qui n’étaient pas au courant et ne pourraient confirmer la réalité du mariage !

Aussi, par acquis de conscience je jette un coup d’œil aux données du CGA concernant ce couple Gabriel BONNEFOUS - Marianne BRENGUES. Et stupeur, ils ont eu des enfants !

 le 7 janvier 1804, à Pinsac, Marie Rose BONNEFOUS qui décède le 21 avril 1808 ;

 le 21 décembre 1805, même lieu, Gabriel ;

 le 10 février 1808, toujours à Pinsac, Pierre Jean Thomas, qui décède le 2 février 1813.

La poursuite de l’analyse des données du CGA permet de constater qu’Antoine BRENGUES, père de Marianne, est décédé le 25 avril 1808 aux Costes Gozon, dans la maison de son fils Pierre, héritier. [8]

Alors que penser. Le mariage était-il faux ? Ou bien les deux jeunes se fréquentaient et avaient l’intention de se marier mais Gabriel n’avait pas encore assez d’argent pour assurer la subsistance de son épouse. Alors ils ont anticipé le mariage en faisant d’une pierre deux coups et évitant à Gabriel la conscription. Cela expliquerait que toute la famille témoigne favorablement. Le décès d’Antoine, après la naissance de son troisième petit fils, milite pour accepter la déclaration des témoins et de la mariée sur l’hébergement du couple Gabriel et Marianne. La date de naissance du premier enfant du couple signifie-t-elle que Gabriel BONNEFOUS a enfin trouvé, en 1803, un logement pour sa famille ?

Les témoins de Jean-François GUIRALDENQ

L’absence de l’interrogatoire de Jean-François GUIRALDENQ nous plonge directement dans le dossier des témoignages. Pourtant, il faut souligner un détail important dont le juge n’a pas tenu compte, peut-être volontairement ! En effet, le 5 germinal an VII (25 mars 1799), le lieutenant de gendarmerie de Saint-Affrique fait passer au directeur du jury l’acte « falsifié » du mariage GUIRALDENC – MALATERRE accompagné de l’extrait du procès-verbal dressé par le jury d’examen des conscrits du canton de Saint-Affrique. Et le lieutenant constate et signale au juge « qu’il n’a pas réclamé à cette époque à raison de son mariage ».

Les témoins dans cette affaire sont Jean et Catherine MALATERRE et Pierre HEBLES.

Tous affirment avoir été le 5 fructidor an IV devant MAZES, agent municipal de la commune de La Romiguière, avec Catherine MALATERRE et Jean-François GUIRALDENQ pour assister à leur mariage.

Ils signalent qu’ils y virent Jean-Joseph REYNES, de la Sabaterie et Alexis GUIRALDENQ, frère de Jean-François, que le mariage fut passé devant MAZES, agent municipal de la commune de La Romiguière, transcrit sur les registres de la commune par cet agent municipal et qu’un double fut rédigé par Jean MALATERRE, frère de l’épouse.

Jean MALATERRE, cultivateur de La Romiguière, 22 ans est le beau-frère de GUIRALDENQ depuis son mariage avec Catherine MALATERRE, sa sœur... Il confirme que c’est sa signature qui est apposée au bas du mariage et « qu’elle y fut apposée après que led mariage fut transcrit sur led registre ».

Lettre du lieutenant de gendarmerie de Saint-Affrique
signalant que GUIRALDENQ n’a pas fait valoir son
mariage lors de l’appel des conscrits.

Photo Patrick Delepaut aux archives départementales de l’Aveyron

Il ajoute « que led GUIRALDENQ n’a point vécu ni habité depuis l’époque dud mariage avec lad MALATERRE son épouse parce que le père de celle-ci s’était opposé aud mariage et que lad MALATERRE a toujours resté dès depuis dans la maison de son père... »

Pierre HEBLES, maçon de La Romiguière, âgé de trente-six ans. Il ne sait point si GUIRALDENQ a vécu et habité avec sa femme.

La mariée, Catherine MALATERRE fille de feu Pierre Jean MALATERRE, âgée d’environ 25 ans, habite dans sa maison paternelle à La Romiguière. Elle confirme être l’épouse de GUIRALDENQ depuis son mariage qui se déroula « dans le mois fructidor an IV sans se rappeler précisément le quantième du mois ». Surtout, elle précise que son père était opposé à son mariage parce que le fiancé demandait une constitution -entendre une dot- plus forte que celle qu’il voulait constituer. C’est pour ce motif qu’il n’assista pas au mariage et, puisqu’il n’agréait pas l’union, elle demeura ensuite chez lui.

Début de l’acte de mariage GUIRALDENQ - MALATERRE
saisi par la justice

Photo Patrick Delepaut aux archives départementales de l’Aveyron

Nous notons avec intérêt que l’interrogatoire de Catherine MALATERRE permet de savoir que le père de Catherine, qui était opposé au mariage, est décédé depuis son mariage, ce qui explique qu’elle demeure dans sa maison. Une rapide recherche permet de confirmer qu’il est mort le 7 brumaire an VII (28 octobre 1798) à La Romiguière. Pour ce qui me concerne, il me paraît clair que ce mariage a eu lieu dans des conditions légales ! Comme nous n’avons pas copie de l’interrogatoire de Jean-François GUIRALDENQ, nous ne pouvons que croire à cette assertion. Comment faire pour en savoir plus ? Aller sur le site du cercle pour savoir si cette union a eu une descendance.

Et effectivement nous trouvons, au mas de Rouve, Bournac (Saint-Affrique), grâce aux recherches d’Éliane PAULHE, six naissances découlant de ce couple, à savoir :

 Marie GUIRALDENQ, le 25 prairial an VIII (14 juin 1800) au mas del Rouve, Bournac commune de Saint-Affrique ;

 Jean-François GUIRALDENQ, le 1er novembre 1801 ;

 Catherine Françoise GUIRALDENQ, le 15 novembre 1803 ;

 Benoît GUIRALDENQ, le 5 septembre 1805, décédé le 16 mai 1842 à Saint-Affrique ;

 Henri GUIRALDENQ, le 25 novembre 1808, décédé le 27 juin 1818 au Truel, La Romiguière ;

 Pierre-Jean GUIRALDENQ, le 26 décembre 1810. Il épouse à Saint-Affrique le 21 février 1846, Elisabeth BOUSQUET.

La conclusion à tirer de ces données, notamment au regard de l’absence de revendication de son mariage lors de l’appel des conscrits et de la naissance du premier enfant en juin 1800, est claire : le citoyen Jean Louis AFFRE commissaire du directoire exécutif près la direction municipale du canton s’est emballé. Il a mis, à tort, en accusation un jeune marié sous le simple prétexte qu’il était conscrit de première classe.

Les témoins de Jacques MOULINS

Le premier témoin interrogé sur cette affaire est Étienne CAMBEFORT. Il a été invité par J. F. MOULINS à assister à son mariage. Il y trouva MAZES, Alexis GOUDARD et deux autres témoins appelés MOULINS sans qu’il sache leur lien de parenté avec le marié. Un autre témoin arriva plus tard, GAYRAUD père, de Brengues. Un double fut rédigé, par une personne qu’il ne connaît pas, sur le second registre.

Alexis GOUDARD, cultivateur à La Romiguière, âgé de 34 ans, est l’oncle de Rose VAYSSETTES. Il déclare que « dans le mois fructidor an IV sans qu’il puisse fixer la quantième dud mois, étant à boire la bouteille dans la maison du citoyen MAZES agent municipal de la commune de La Romiguière avec le nommé Étienne CAMBEFORT, ils furent priés tous les deux d’assister au mariage d’entre led MOULINS prévenu et lad Rose VAYSSETTES ; que led mariage fut passé en leur présence devant led agent municipal ; que Jacques MOULINS et Jean et Pierre MOULINS ainsy que Rose VAYSSETTES étaient aussi présents. Ajoutant qu’il connait Jean MOULINS pour être un des frères du prévenu mais qu’il ne sait point si led Pierre MOULINS l’ait aussi, ne le connaissant pas, qu’il ne se rappelle par sil fut transcrit led mariage sur les registres n’y ayant pas fait attention, ni par qui il fut signé. Ajoutant le déclarant que depuis l’époque a vu souvent dans lad maison led MOULINS qui cependant a raison de son métier de tailleur d’habits va travailler tantôt d’un côté et tantôt de l’autre. »

L’épouse, Rose VAYSSETTES, fille d’Antoine VAYSSETES, est interrogée, semble-t-il, dans sa maison paternelle à La Romiguière. Elle a 17 ans ou 18 ans et affirme qu’elle se présenta, pour se marier, avec Jacques François MOULINS, devant le citoyen MAZES. Cette union fut transcrite sur les registres de la commune « sans que la déclarante sache par qui ni ayant pas fait attention ». Pourtant elle se souvient « que Alexis GOUDARD, son oncle, et Étienne CAMBEFORT étaient présents et qu’en outre il y avait Jean MOULINS » frère de l’époux. De façon étonnante elle ne se rappelle pas si Pierre MOULINS, l’autre frère de Jacques François, était ou pas présent. Elle ajoute « que depuis cette époque elle a resté dans la maison de son père et qu’elle a vécu et habité avec led MOULINS son mari toutes les fois que celui cy n’a pas été employé à travailler de son mettier ailleurs. » Elle « ajoute encore … que son père avait promis de lui faire une constitution de six ou sept cents francs et qu’une des conditions dud mariage fut qu’il garderait dans sa maison la déclarante et led MOULINS son mary jusqu’à ce que celui cy aurait fait l’acquisition d’une maison. » Elle déclare en outre « que son père n’assista point au mariage sans qu’elle puisse en donner la raison mais qu’il lui aurait donné sa parole et son consentement verbal... ».

Voilà des déclarations plus sujettes à caution. L’épouse a 17 ans ou 18 ans à la date de l’interrogatoire, ce qui sous-entend qu’elle avait 14 ou 15 ans à son mariage ! Elle ne connait pas le deuxième frère de son « époux » et elle n’a pas rejoint son mari parce qu’il n’habitait pas dans sa commune du fait de son métier. Il est surprenant que son père ne soit pas interrogé alors qu’il est vivant (il décède le 9 avril 1817 à La Romiguière à l’âge de 73 ans). Mais il est vrai que le juge n’interroge que des témoins au mariage.

Les recherches menées sur le site du CGA n’apportent aucune réponse sur la descendance de ce couple. En revanche, nous découvrons que Jacques MOULINS, fils de Jacques, maître tailleur, et Anne VIRENQUE, est né à Melvieu (Saint-Victor). Il a deux frères, Jean et Pierre. Il se marie le 30 mai 1802 à Saint Rome de Tarn avec Catherine Christine CAZES de Vispens de Bournac. Ils ont plusieurs enfants, tous nés à Melvieu (Saint-Victor) :

 Jacques Célestin, né le 1er juin 1806 ;

 Anne Catherine, née le 17 janvier 1811 ;

 Marie (Félicité), née le 15 août 1813 et décédée le 21 octobre 1817 ;

 Jean Miquel, né le 9 août 1815 ;

 et Pierre Jean né le 20 octobre 1818.

Il devient veuf de Catherine CAZES le 2 septembre 1821, à Malvieu [9]. C’est ainsi qu’il peut se remarier le 2 septembre 1822 à Saint Rome de Tarn avec Suzanne LAVAGNE. Il décédera le 11 octobre 1842 à Melvieu.

De son côté, Rose VAYSSETTES, originaire du Truel, épouse le 11 juin 1803 Jean MALATERRE, celui-là même qui témoigne dans le dossier de Jean-François GUIRALDENQ. Elle est fille d’Antoine et de Rose GOUDARD. Á l’occasion du mariage d’un de ses enfants, Rosalie, nous apprenons qu’elle est décédée le 13 septembre 1835. Jean MALATERRE, né à La Romiguière, est fils de Pierre Jean et de Catherine SINGLA. Ce couple a donc une descendance née au Truel :

 Rose, née le 14 janvier 1804, décédée le 21 janvier
 Marie, née le 13 janvier 1805, fille décédée le 28 mars 1839
 Julie, née le 6 janvier 1807
 Pierre Jean, né le 18 octobre 1808
 Guillaume, né le 20 mars 1811
 Antoine, né le 14 novembre 1815
 et Rosalie, née le 28 mai 1819 et connue par son mariage avec Pierre Jean GALTIER le 18 février 1841.

Conclusions

Voilà des conclusions difficiles à tirer d’un tel dossier. Deux jeunes mariés avouent, chacun de son côté, que grâce à l’aide du secrétaire de la municipalité de La Romiguière ils ont organisé un faux mariage. Le troisième, poursuivi par la justice pour ce même motif réfute probablement cette même accusation, mais peut-être a-t-il aussi avoué. Au premier abord nous pensons naturellement que ce sont de fieffés coquins désireux d’’échapper à la conscription au moyen d’un pseudo mariage.

Pourtant, pour le couple GUIRALDENQ - MALATERRE, un doute très fort s’insinue quand on prend en compte, outre sa contestation assez convaincante de l’accusation, le fait qu’il n’a pas excipé de son mariage pour éviter la conscription et le fait que le couple ait eu un premier enfant en 1800, soit environ un an après le décès du père MALATERRE et donc le libre accès de GUIRALDENQ chez sa femme.

Pour le premier mariage BONNEFOUS – BRENGUES, n’ayant pas le jugement du procès concernant ce « faux mariage », il est difficile de prendre une position solide alors que le mari a avoué un faux mariage antidaté. Nous pouvons imaginer que le risque de partir faire la guerre, alors que le mariage était déjà entendu entre les parents, a encouragé Gabriel BONNEFOUS à accélérer la cérémonie sans même qu’un contrat de mariage ne soit rédigé. De plus, le fait que le couple a eu des enfants plaide en sa faveur. Plus certainement, si le mariage GUIRALDENQ – MALATERRE est réel, comme nous le supposons ci-dessus, le mariage précédent inscrit sur le registre est forcément véridique et ne peut avoir été antidaté.

Dans cette dernière hypothèse, nous pouvons nous interroger sur les aveux faits par BONNEFOUS, et par voie de conséquence aussi pour ceux de MOULINS. Si le mariage est réel, l’intimidation évoquée par les deux prévenus est acceptable et le dossier s’affaiblit.

Cela ne n’empêche pas de regarder le dossier MOULINS sous un regard moins favorable. Nous pouvons légitimement penser qu’il s’agit d’un faux mariage auquel nous avons été confronté. Cette analyse est fortement étayée par les recherches faites dans les données du CGA. Elles apportent des enseignements très intéressants. Les deux vies parallèles du « couple » confirment, me semble-t-il, l’opinion sur le fait que nous avons bien affaire à un faux mariage entre MOULINS et VAYSSETTES. D’autre part, s’il y a bien un faux mariage, ce ne peut être que le dernier du registre.

Au total, je pense que deux des mariages dénoncés sont pourtant des mariages réguliers et que celui de MOULINS est effectivement empreint de falsification. Je ne sais pas quelles sanctions ont été appliquées aux « mariés » et aux témoins ainsi qu’aux agents de l’administration qui se sont prêtés à la falsification. BEC et MAZES méritaient aussi des poursuites sans doute autant que les trois conscrits !

Patrick DELEPAUT